dimanche 18 mai 2008

Luigi Pirandello, La mort à la bouche

Luigi Pirandello, La mort à la bouche
Nouvelle, Folio Gallimard

La mort à la bouche, un hymne à la vie !

Deux hommes sur le quai d’une gare. Le deuxième homme a manqué son train d’une minute. Le premier se trouve là, sur le quai, sans raison apparente. Un dialogue s’engage alors entre ces deux voyageurs immobiles : les soucis du retardataire, le discours critique de l’autre qui, par association d’idées, sautant du coq à l’âne, développe peu à peu sa vision de la vie, la vision de sa vie depuis qu’il se sait condamné par une maladie incurable.

Ainsi, le condamné tente de démontrer l’absurdité et la vanité de la vie… Cette vie qui nous agite, nous secoue, nous malmène, nous alarme, nous préoccupe, nous bouleverse, ne sert à rien. Cette ridicule et insignifiante vie humaine est comparable à une planète soumise en permanence à une cause inopinée de destruction totale : la mort. Malgré elle, seule donnée certaine de l’existence, l’homme, dans son aveuglement, vit chaque jour en se projetant dans un lendemain qu’il ne sait pas hypothétique, dont il a oublié qu’il était absolument conditionné.

Finalement, le deuxième homme attire calmement l’attention de son interlocuteur sur la manière vaine et creuse dont les hommes conduisent leur existence. Ici, même si le discours demeure délibérément infra philosophique, on ne peut pas éviter de se rappeler, même rapidement, les Stoïciens et les Epicuriens de l’Antiquité, ou encore le Livre IV de l’Ethique où Spinoza offre cette si célèbre proposition : "L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation, non de la mort, mais de la vie."

Ce n’est pas de l’inanité de la vie qu’il s’agit, mais de la vanité de l’homme dans cette vie qui lui est donnée et reprise n’importe quand, n’importe comment.

Alors, dans cette gare, lieu de passage, de transition, d’aiguillage, ce dialogue… Est-il vraiment un dialogue ? On pourrait en douter. Les deux hommes ne seraient-ils pas un seul et même homme à deux moments de sa vie ? Un dialogue entre soi et soi, entre l’homme qui fut et celui qui est, entre celui qui n’est déjà plus et celui qui ne sera bientôt plus du tout… Un monologue intérieur qui prend davantage la forme d’une pièce de théâtre que d’une nouvelle pour montrer que la mort est encore pour l’homme l’occasion d’un dernier et indispensable examen de conscience qui pourrait bien lui donner la clé de l’humanité : Qu’est-ce qu’être homme ? Qu’est-ce que la vraie vie ? Comment la vivre ?

La mort prochaine est l’ultime possibilité offerte à l’homme d’un retour aux choses essentielles, vraies, simples, aux choses mêmes. Bien plus qu’un simple Carpe diem, La mort à la bouche nous propose de scruter la vie et de nous scruter en train de la vivre… Et, malgré tous les paradoxes que Pirandello relève sur la vie de l’homme, quel majestueux cri d’amour à la vie lance-t-il à la fin de sa nouvelle !

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