mardi 22 juillet 2008

L'aventure des écritures, une cédérom des Musées Nationaux




L'aventure des écritures, une plongée dans 5000 ans de civilisations



Sans doute l'humanité, délaissant la tradition de l'oral a-t-elle compris un jour qu'elle avait à se faire entendre par les générations et les civilisations à venir. Un message à léguer, un témoignage, une transmission, un héritage. Rien ne dure qui ne soit écrit. L'oral, parce qu'il est éphémère et limité, fragile car son seul support est la mémoire, pollué et trahi car à la mémoire se mêle toujours l'imagination, l'oral ne peut garantir à lui seul la transmission de ce qui semble caractéristique, inhérent, essentiel à une culture. On sait tout des Romains qui écrivaient, presque rien des Gaulois qui furent leurs contemporains, si ce n'est grâce à Jules César qui les décrivit dans la
Guerre des Gaules.

Jacques Chardonne écrit, au chapitre 3 de
Claire : "Rien de précieux n'est transmissible, une vie heureuse est un secret perdu."
Sans doute. Et chaque homme est, à sa mesure, une encyclopédie qui disparait comme la vie le quitte. Mais, si le bonheur pur n'est pas transmissible, s'il demande à être vécu pour être connu, toute chose n'est pas aussi intime ni si empirique.
L'homme articule le langage depuis 100 000 ans environs, il écrit depuis seulement 5 000 ans.
Cette invention, somme toute récente, nous a fait basculer dans la dimension de la filiation, et l'écrit peut être vu comme un fil d'Ariane qui conduit les hommes à travers le dédale du temps, les couloirs des civilisations;

Cette aventure humaine, c'est ce que la Réunion des Musées Nationaux nous présente dans un somptueux cédérom
"L'aventure de l'écriture". Une base encyclopédique exceptionnelle, des documents insoupçonnables passés à la loupes et commentés, des brouillons d'écrivains, des dossiers sérieux qui rendent accessibles les enjeux politiques, économiques et religieux qui présidèrent à l'invention de l'écriture et à sa propagation. Aussi, se promener dans les sillons numériques de ce fabuleux travail, c'est rencontrer les hommes et les civilisations sur des milliers d'années.

Voilà l'occasion de se cultiver grâce à un support qui allège l'effort permanent de lire et de tourner les pages. C'est mieux que n'importe quel site Internet, et derrière chaque clic se cache un trésor...

lundi 21 juillet 2008

Alessandro Baricco : Soie

Alessandro Baricco :
Soie (beau et tais-toi, Alessandro !)



Sur le modèle de la Constitution anglaise qui interdit à la Reine de parler politique, il faudrait, à l’occasion d’une révision de la Constitution de la Vème République, interdire aux journalistes français de parler de littérature, à moins qu’ils ne fussent également écrivains.

Allez donc voir, sur le site de l’Express, un exemple de critique littéraire qui ne sait ni lire ni critiquer et qui enfile comme des perles des arguments de vente dignes d’un stagiaire d’école de commerce.

La presse a donc encensé le texte d’Alessandro Baricco comme elle l’eût fait d’un nouveau « Guépard ». 300 000 ventes en Italie, principalement à destination d’un public jeune : un best seller pour bouffeurs de Mac Do incultes.

Baricco a circonscrit son objectif et atteint sa cible. Il sert à son public de la fast-littérature, mais pas grasse du tout. Elle serait même allégée : 0% d’idée, 0% de style, 0% de structure, 100 % de vide hydrogéné pour faire prendre ce Canada dry de mayonnaise littéraire. Vous l’aurez compris, c’est si léger, si plat et si creux, si vide et si vaporeux, que Baricco ferait presque mentir Pascal qui nous soutient et nous démontre que le vide n’est pas le néant.

Pour ce qui est de l’histoire, un français part acheter des vers à soie au Japon (XIXème siècle, japon médiéval). Il tombe amoureux d’une jeune femme (même pas bridée, donc sans doute occidentale, mais complètement tatamisée dans ses comportements ! Bien sûr, nous ne saurons rien de ce mystère !) déjà prise par le vieux potentat local. Rien n’est dit, scène de geisha aux regards immobiles ; regards immobiles qui sont sensées nous faire exploser le mercure de la sensualité. Et le danger là dedans ! Oulala ! N’en parlons même pas ! On ne pique pas le cœur de la copine d’un japonais médiéval tout puissant comme ça, juste parce qu’on est un jeune, gentil, beau et français, avec plein d’or en poche ! C’est qu’ils ont la tête près du chignon, et la main sur le katana, ces gens-là ! Alors, on rentre finalement en France retrouver sa femme à qui on ne dit rien mais qui comprend tout, parce qu’elles sont comme ça, les femmes françaises, même si on ne leur dit rien, elles comprennent tout, elles pardonnent tout. Quand on a connu un tel amour impossible, que faire d’autre sinon son jardin ? Parce qu’ils sont comme ça, les Français : s’ils sont transis d’amour, ils se mettent au jardinage et attendent la mort. Les Français, eux, ont des cœurs d’artichauts et cela les rend bons jardiniers ! Ou alors ils ont tous lu Epicure et appliquent les conseils du Maître, qui sait ? Et oui, même à quarante ans, même beau, riche, aventureux et intelligent, un amour déçu et hop ! Lessivé le french lover ! Jardinier ! Avec ça, les macaronis peuvent être rassurés, il n’y aura pas beaucoup de concurrence sur les plages nipponnes cet été !

Pour ce qui est de l’inspiration ? Ambiance « Estampe de supermarché, exemplaire original du Japon, 120x80, encadré, 3€99, made in China.» Les poncifs les plus éculés et les plus niais sur le Japon et les Japonais fusent à chaque coin de phrase. Il faut vraiment ne s’être jamais un tant soit peu intéressé à cette civilisation pour véhiculer de tels stéréotypes avec autant de naïveté. Le héros de Baricco est directement tiré du Richard Chamberlain de Shogun, série culte des années 80, dont l’auteur s’est visiblement trop nourri… C’est ça, la culture télé : on finit par réécrire Goldorak en se prenant pour Sophocle.

Pour ce qui est du style : si vous aimez le degré 0 de l’écriture, vous serez servis. Vous avez aimé le vide souverain qui règne chez Christian Bobin ? Vous avez adoré Philippe Delerm dès la première gorgée de rien ? Alors vous raffolerez de Baricco ! Vous êtes en transe sur les maxi best of navets de Paulo Coelho ? Votre cam, c’est le pseudo message spiritualisant ? le pseudo conte initiatique ? Vous vouerez un véritable culte à Baricco.

Sinon, si nous n’êtes pas du style à vous faire enBOBINer, passez vite chemin et relisez sur la plage quelque chose de correct (ou même d’excellent, rien n’est interdit) que vous aviez aimé, il y a vingt ans…

dimanche 20 juillet 2008

Françoise Dolto, Les journées du centenaire


Centenaire Françoise Dolto : du souvenir à l’actualité

Le 6 novembre 1908 naissait Françoise Marette qui épousera Boris Dolto, l’un des tous premiers défricheurs de la kinésithérapie en France.

Un centenaire, quand les médias veulent bien s’y intéresser, est l’occasion de mesurer l’apport, l’importance, l’impact d’une personne, d’un art, d’un événement, d’une pensée sur le monde. Françoise Dolto, infirmière, puis médecin, s’intéressa très tôt à la psychanalyse des enfants, et même des nourrissons. Sans croire en elle, la prenant au mieux pour une farfelue, mais touchés par sa profonde et réelle gentillesse, les « patrons » de médecine d’alors la laissaient faire. Après tout, quel mal aurait bien pu faire cette femme si douce et si gentille ?

Il ne s'agit que d’écouter, lire, entendre le moindre commentaire sur Dolto pour voir que chacun en parle sans la connaître et des critiques aberrantes s’élèvent contre des théories qui ne sont ni les siennes ni inspirées de ses travaux. Aujourd’hui, dans la conscience collective, Françoise Dolto est devenue le symbole du laisser aller dans l’éducation, de la permissivité, du relâchement, de la perte des repères entre enfants et parents, etc. On a donc, au fil du temps, créé le mythe d’une Dolto fantasmée qui n’est rien d’autre que l’anti-Dolto réelle.

Les experts, eux, ne s’y trompent pas. Il suffit de lire ou d’écouter Marcel Rufo, parce que c’est l’un des plus accessible et des plus médiatisé, pour comprendre le respect et l’intérêt que continuent d’entretenir les grands psychiatres dévoués à la cause de l’enfance.

Ce centenaire pourrait être l’occasion de retourner aux textes, aux conférences, aux émissions (aisément trouvables aujourd’hui sur des supports numériques), de mesurer l’apport, l’originalité de la pensée de Françoise Dolto, l’évolution de son discours, les progrès qui en sont nés et les bénéfices qu’ils continuent de produire.

Pour les chanceux qui seraient libres les 12-13 et 14 décembre 2008, profitant de la journée mondiale de la philosophie, l’UNESCO et les Archives Françoise Dolto organisent Les journées du centenaire. Le programme est des plus intéressants, largement ouvert aux « non psy », et sa mise en œuvre, alternant conférences, débats et lectures de textes fondateurs, sera des plus enrichissantes.

Alors, si vous êtes passionnés, intéressés, curieux, soucieux de comprendre comment la pensée de Françoise Dolto interroge une société qui tend à détruire les valeurs que défendaient cette grande psychanalyste, allez passer un week-end du côte de la Maison de l’Unesco, place de Fontenoy, à Paris ; et peut-être que le véritable cadeau de Noël 2008 vous pourriez bien le recevoir dix jours plus tôt…

Ecologie : un retour au paganisme ?

Ecologie : un retour au paganisme ?


Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque sorte de puissance imaginaire... (Descartes, Le monde, Chapitre VII, Garnier 1963, page 349.)



Michel Serres, Le contrat naturel :

Je me souviens de la conférence de Michel Serres au Virgin Mégastore de Bordeaux en 1990. Auréolé de la gloire de son élection à l’Académie Française, il venait présenter son dernier ouvrage, Le contrat naturel (François Bourin, 1990)

Ce livre a presque vingt ans et, s’il reçut un accueil des plus brillants alors, je crois que le statut de récent Académicien de son auteur y fut pour davantage que l’ouvrage lui-même.

Non pas que le texte soit sans mérite, loin de là ! Et j’invite même tous ceux qui pensent la place de l’homme dans le monde et son rapport à la Nature à le relire attentivement. Non : je pense que les thèses de l’ouvrage étaient peut-être trop anticipatrices pour être prises au sérieux ou même être simplement comprises par les lecteurs de 1990.

Le Contrat naturel ne se contente pas de « dire la beauté fragile de la Terre ». Considérée depuis le début de l’humanité jusqu’à l’ère rationaliste comme une puissance maternelle et protectrice, cause de toute vie, la Nature tombe dans l’oubli à partir du Contrat social qui est théorisé par les philosophes du droit naturel moderne ; contrat qui, passé librement entre les hommes leur font quitter l’état de nature, les déracinent de la Nature pour véritablement les enraciner dans l’Histoire. L’homme oublie alors la nature, qui s’est retirée plus loin que la ligne de l’horizon humain.

Michel Serres nous dit, page 62, que « ce contrat [qui] nous fit quitter l’état de nature pour former la société [est] étrangement muet sur le monde. » Il écrit un peu plus loin : « On dirait la description, locale et historique, de l’exode rural vers les villes. […] La nature se réduit à la nature humaine qui se réduit soit à l’histoire, soit à la raison. Le monde a disparu. »

Sans le citer, l’auteur fait ici implicitement référence à Rousseau, bien sûr, (et particulièrement Du contrat Social, chapitre VIII) qui nous décrit le passage de l’état de nature à l’état civil.

En jetant les prémices d’une science appliquée, après avoir défini les critères de la connaissance objective, Descartes applique sa science de la mathématique de la nature. Cette nouvelle conception philosophique du monde révolutionne l’approche de la connaissance du monde physique. Cette domination de la nature par les hommes, les Anciens en ont rêvé, Descartes l’a fait. Cette théorisation définitive du Droit naturel vient achever le processus inauguré par Descartes.

Ce bref rappel pour éclairer la finesse de l’analyse de Michel Serres qui montre, en 1990 déjà, le prévisible « retournement » de situation (page 61) : « Or, à force de la maîtriser, nous sommes devenus tant et si peu maîtres de la Terre, qu’elle menace de nous maîtriser de nouveau à son tour. […] Plus encore que nous la possédons, elle va nous posséder comme autrefois, […] mais autrement qu’autrefois. Jadis localement, globalement aujourd’hui ». Encore plus finement, pour ceux qui voudront lire car il faut aller encore plus loin dans l’analyse de l’argumentaire, Michel Serres, par sa définition de l’homme-parasite et par sa théorie du symbiote, ainsi que par les solutions qu’il propose, notamment celle de reconduire un contrat naturel en plus du contrat social et non pas contre le contrat social continue à proposer une voie qui tend à l’Universalité, par un pacte ultime qui serait la synthèse mûrie de tous les rapports passés entre l’homme et la nature.

Il balaye ainsi a priori, en faisant l’économie de la citer, la désormais classique, creuse, fausse et manipulatrice dénonciation marxiste qui n’est que cause d’erreurs stériles mais souvent dramatiques et cause de batailles anachroniques de clochés idéologiques en ruines : l’industrie capitaliste, égoïste, aurait asservi l’univers tout entier pour son seul profit ! Si nous avions aussi mauvais esprit que les marxistes, nous ferions remarquer que ce sont d’ailleurs les pays communistes (donc pourtant anticapitalistes !) qui participent le plus à la destruction de la planète : la Chine est désormais le premier pollueur au monde, les sols les plus pollués du monde se trouvent autour des entreprises minières et nucléaires russes, nos camarades soviets coulant par ailleurs leur flotte de sous-marins atomiques au fond des océans sans la moindre vergogne, sans le moindre souci écologique…

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes qui ont asservis l’univers. Les communistes, les marxistes, les maoïstes ne sont pas en reste. Et d’ailleurs, qui nous rappelle les couleurs du drapeau planté dans un parfait mépris de l’humanité sous le pôle nord exactement ? Les fils de Marx et d’Engels nous préparent là un grand moment de paix et d’écologie planétaire !

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes, ni les seuls communistes. Ce sont les hommes tous ensemble, dans ce qu’ils ont de plus universel et de plus banal à la fois qui ont endommagé la Terre au point que sa santé nous inquiète tous aujourd’hui.



Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique :

A cela, il convient d’ajouter la lecture indispensable à mon avis du Nouvel ordre écologique, publié en 1992 par Luc Ferry chez Grasset.

Je me rappelle que l’ouvrage, à sa sortie, avait fait naître un véritable débat public parce qu’il replaçait la pensée écologiste moderne dans l’histoire de la pensée, mais qu’il « osait » aussi démontrer comment les thèses les plus radicales de l’écologie profonde s’appuyaient sur un antihumanisme (pour ne pas dire une haine de l’humanisme), un « sentimentalisme romantique » qui est l’une des bases du nazisme et qui se retrouve aujourd’hui dans les courants les plus gauchistes de l’écologie moderne… (Les extrêmes se rejoignent, même en écologie. Etonnant, non ?)

L’intérêt de la lecture de cet ouvrage de Luc Ferry réside autant dans la mise en perspective de toutes ces notions grâce au très sérieux travail d’historien des événements et d’historien de la philosophie qu’il propose, mais aussi par la critique radicale qu’il fait du Contrat naturel de Michel Serres. L’argumentation est philosophique, mais elle est si bien présentée, si clairement étayée par Luc Ferry, qu’elle est non seulement abordable mais passionnante.

Pour ceux qui se veulent « écolos », sans être victimes des discours manipulateurs de l’extrême gauche qui fait de l’écologie son cheval de bataille (oubliant trop aisément que les communistes sont non seulement de grands bourreaux de l’humanité mais aussi de grands fossoyeurs de la planète), ces deux ouvrages, lucides et assez antithétiques de deux philosophes contemporains sont donc vivement conseillés.

Conclusion :

A la sagacité de mes rares lecteurs, je livrerai quelques unes des questions qui me reviennent fréquemment quand je pense à l’écologie moderne :

Cette vénération de la Terre chez les écologistes est-elle réellement souci pour la planète et pour l’humanité ou instrumentalisation de l’état de la planète contre l’humanité et principalement contre une forme d’humanisme développé en occident ?

Cet écologisme anti-humaniste n’est-il pas un anti-occidentalisme ?

Cet anti-occidentalisme n’est-il pas une forme encore larvée d’anti-chrétienté (comprise d’ailleurs davantage dans sa dimension historique et culturelle que religieuse) ?

Cette déification de la nature, à laquelle on assiste de plus en plus clairement, n’est-elle pas un retour à ce qui fut les fondements même du paganisme ? Et là, nous savons tous où conduit l’exacerbation d’une nature sanctifiée, d’une nature qui propose à l’homme la relation païenne et romantique.

N’y a-t-il pas, dans l’écologisme tel qu’il se développe, une lutte contre la raison, contre la rationalité, visant au développement, dans ce domaine précis après qu’elle en ait corrompu tant d’autres, de l’irrationalité ?

L’écologisme, s’il se veut un discours contre la science et contre le progrès, peut-il raisonnablement faire croire qu’il veut le bien de la planète et le bonheur des hommes alors que ce défi, de garder la planète en un état suffisant pour que les civilisations perdurent, seuls les progrès scientifiques unis à une action politique raisonnée et globalisée sauront justement le relever ?

jeudi 17 juillet 2008

Le sourire étrusque : l'amour, une dernière fois, et mourir...


LE SOURIRE ÉTRUSQUE de José Luis Sampedro
Editions Métailié, 1997



Cette fois-ci, c'est un grand auteur espagnol qui dépeint un vieil italien calabrais, un homme du sud, un paysan qui doit "monter" dans le nord, à Milan, chez son fils Renato et sa belle-fille Andrea, pour soigner le cancer qui lui ronge les entrailles.


Le roman s'ouvre à Rome, frontière du Nord et du Sud, sorte de check-point neutre, d'ultime limite avant de passer à l'ennemi, avant de connaître Milan, la ville terne et grise, sans vie ni âme, sans couleurs ni odeurs. Un paysan vrai, authentique, bourru, dont l'histoire prend source au plus profond de la terre calabraise, de la résistance pendant la guerre, du savoir séculaire, des rites d'un monde révolu, est plongé là, au cœur d'un musée romain, dans une méditation admirative et curieuse devant l'étrange sourire d'un sarcophage étrusque qui accueillit bien avant l'apogée romaine deux êtres qui s'aimaient. Ces deux Etrusques allaient à la mort, à l'immortalité pense le vieux paysan, le sourire aux lèvres ! Il y a en eux une forme de volupté confiante face à la mort.


Comme de ces vieux sages qui ne tiennent plus tant que cela à la vie, qui semblent avoir déjà accepté leur sort, qui fument et qui boivent du café ou mangent en cachette malgré les strictes consignes des médecins, on pourrait espérer un ultime discours sur la vie, saupoudré de quelques vérités simples mais éternelles, de celles qu'on ne découvrirait qu'au seuil de la mort. On s'attendrait à un classique dialogue entre un père mourant et son fils. Une manière d'héritage fondamental, immatériel, qui ne dépend ni de la richesse ni du notaire, cette transmission d'une partie d'un être qui passe dans l'autre après sa mort.

Eh bien non. Ou plutôt, cela va "sauter" une génération. C'est la rencontre avec Bruno, le petit-fils inconnu, qui déclenchera tout. Le grand-père, on peut le dire, va tomber amoureux de Bruno et, à cet enfant qui lui offre un dernier bonheur sur Terre, à ce petit citadin déraciné, à cet enfant des villes modernes, il va livrer son histoire, ses racines, un discours vrai sur l'Etre. A cet enfant, il va offrir le sol solide et les fondations inattaquables de l'origine.

Le veil homme rencontre aussi une dernière fois le charme, l'amour, la tendresse, la sensation d'être vivant auprès d'Hortensia, une veuve qui le touche, comme personne semble ne l'avoir touché.

A ce moment de sa vie, sur le chemin de la mort, on s'attendrait donc, logiquement, à un roman initiatique : celui qui sait et qui a vécu livre son trésor et disparait. Là où l'auteur joue bien, c'est qu'il inverse tout : le sourire étrusque ouvre une faille dans le blindage hors norme du paysan calabrais, puis la rencontre avec Bruno et Hortensia vont faire voler en éclat cette carapace.

Comme l'écrit Anatole France dans Le Crime de Sylvestre Bonnard :
"Quel casque épais et quelle lourde cuirasse, seigneur ! Vêtement de géant ? Non ; carapace d’insecte. Les hommes d’alors étaient cuirassés comme des hannetons ; leur faiblesse était en dedans."


Finalement, au bord de la mort, c'est "le vieux" qui reçoit ce qu'il n'avait jamais soupçonné que la vie pût offrir à un homme : la tendresse, l'amour, la complicité. On apprend jusqu'au dernier jour, et cette dernière leçon de la vie conduit le vieux à cette plénitude que lui envoyait le sourire étrusque du sarcophage, comme un message, comme une promesse.


Le roman s'achève ainsi :
"Sur l'argile charnelle du vieux visage a fleuri un un sourire qui se pétrifie peu à peu, dans un tréfonds sanguin de terre cuite ancienne. Renato, attiré par le chant guerrier et les cris de l'enfant reconnaît aussitôt : Le sourire étrusque."

Sans nul doute, José Luis Sampedro est un grand auteur et, aimerais-je dire, un auteur "classique", en ce sens qu'il construit une trame narrative parfaitement, où les transitions sont si douces que l'implicite suffit. La précision, le contrôle de ses personnages dont les portraits se déroulent lentement, la retenue, la pudeur des relations, l'humour omniprésent, la juste mesure de sentiments "possibles" font de Sampedro un auteur littéraire de premier plan.

Pour quelques éléments de biographie appliquée à l'œuvre, on peut lire utilement l'article de Marie-Claude Dana, publié dans Le Monde Diplomatique, en décembre 1994 : La saveur des terroirs.