mercredi 5 novembre 2008

Federico garcia Lorca, Jeu et théorie du Duende




Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du Duende,
Allia, 2008



Comment traduire "le Duende" ? Rien de similaire en français.

Lorca nous dit ce qu'il n'est pas : "Je veux que personne ne confonde le duende avec le démon théologique du doute [...] ni avec le diable catholique"

Lorca nous dit ce qu'il est : "L'esprit de la Terre, ce même duende qui consumait le cœur de Niezsche [...] le duende dont je parle, sombre et frémissant est le descendant du très joyeux démon de Socrate."

On aurait trop vite fait de définir le duende comme l'âme de l'Espagne. Quelque chose de mystique qui ne pourrait être appréhendé que par un espagnol en fusion totale avec sa culture, son pays. Le duende est universel et tous les arts peuvent l'accueillir. Hier chez Socrate, aujourd'hui accessible dans le Flamenco, les complaintes gitanes, le chant et la guitare espagnols, la corrida...
Un démon ? Oui, mais un Ange tout autant. Un état de Grâce.
Cet état où l'artiste communie avec la Muse, où le danseur en transe n'incarne plus que l'essence de la danse. Cet instant où la voix du chanteur cesse d'être interprétation et où le divin s'écoule par sa bouche. Ce moment stupéfiant qui dépasse toute technique et qui transcende toute perfection.

Mais l'Ange, le démon, la Muse sont extérieurs à l'homme qui reçoit d'eux ce qu'il restitue. Le duende, lui, surgit des entrailles de l'homme. Le duende, "il faut le réveiller dans les dernières demeures de son sang".

Où le chercher ? Comment le trouver ? Comment le produire ? Comment le vivre ? Comment porter son art au-delà de la plus pure perfection et permettre son jaillissement ?

Le poète nous répond : " Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, [...] qu'il brise les styles, qu'il s'appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation [...]"

Une amie vivant au Japon me raconta un jour ce spectacle fascinant et inouï d'une très vieille femme presque infirme, presque paralysée, brisée mais qui, sur le tatami, au rythme d'une musique ancestrale, se mettait à danser instantanément avec la fraîcheur, la grâce et l'énergie de la jeunesse. C'est cela, "le pouvoir magique" du duende qui "opère sur le corps de la danseuse comme le vent sur le sable".

Il faut lire ce petit texte de Lorca, comme on lit un poème parce que Lorca est poète. Mais il faut encore le lire avec la patience, le sérieux qu'on accorde à un texte fondateur dont le fruit sera sans fin.











dimanche 28 septembre 2008

Jacqueline de Romilly, Dans le jardin des mots.





Jacqueline de Romilly,
l'amour de la langue

Si vous voulez aimer Homère ou Pindare, si vous voulez connaître la définition véritable du mot "culture", il faut lire Jacqueline de Romilly. Première femme professeure au Collège de France, première femme membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l'Académie Française l'a accueillie en 1988 et, dans ce cas, c'est plus un honneur pour l'Académie que pour elle.
Le premier livre d'elle, qui m'aura marqué durablement, aura été "
Pourquoi la Grèce ?" en 1992.
En tâchant de répondre à une question essentielle : pourquoi les textes des anciens grecs, après avoir traversé et enrichi la civilisation romaine, ont-ils fondé et influencé à ce point la culture et la civilisation européenne ? Mme de Romilly y répond : les Grecs antiques, à travers leur théâtre, leur poésie, leur philosophie, leurs sciences diverses ont toujours tendu vers l'Universel. Tournant le dos au contingent, ils ont voulu peindre ce qui parlerait aux hommes des millénaires à venir, quelle que soit leur civilisation.
On est bien loin de la "culture" d'aujourd'hui, entre art contemporain, art de rue et techno-parade.

Dans le jardin des mots, Jacqueline de Romilly fait oeuvre de conteuse. Mais elle n'est pas n'importe quelle conteuse. Elle a l'âme d'une gardienne de phare isolé sur un ilôt rocheux au coeur d'un ouragan. Aux bourrasques furieuses qui se déchaînent pour abattre la langue française et l'ensevelir à jamais dans un contagieux bouillon d'inculture, elle oppose son amour des mots. Contre l'obscurité qui menace les mots malades, elle brandit la lumière de la connaissance.

Comme un chef prépare de simples aliments pour les élaborer, par amour du beau et du bon, en mets rafinés qu'il veut faire aimer à ses clients, l'auteure veut nous faire partager son amour, sa passion de la langue et des mots. Elle veut nous en nourrir pour nous en (re)donner le goût.
C'est réussi, au-delà de toute espérance. Elle nous démontre aussi cette éternelle vérité que savaient depuis toujours nos ancêtres et que nous avons oubliée : un bon repas n'est pas plus cher qu'un mauvais, et les bénéfices sur la santé sont incomparables.

C'est ainsi que le livre commence : "
La langue que nous parlons, que nous avons apprise depuis notre enfance et qui se parle depuis des siècles, celle qui nous sert à nous exprimer dans notre vie de tous les jours, peut être plus ou moins bien portante. Si elle va mal, notre pensée, notre vie quotidienne en seront modifiées. Mais, inversement, il dépend de nous, il dépend de chacun de nous qu'elle aille mieux ou moins bien, car nous sommes tous porteurs de virus et la contagion est grande."


En quelques dizaines d'articles ciselés Jacqueline de Romilly se montre le meilleur avocat de la langue française. Elle n'est pas seule. Ils sont quelques uns, nos auteurs, à conduire une croisade contre la barbarisation de notre langue. Modeste croisade : ils n'ont pour armure que l'amour de la langue ! Citons par exemple la belle série d'ouvrages qu'Eric Orsenna avait ouverte avec "La grammaire est un chanson douce", suivie des "Chevaliers du subjonctif" et de "La révolte des accents".


Face à la jubilation populaire de la dernière palme d'or à Cannes "Entre les murs", face à la complicité de certains enseignants de français, tels ce grandiloquent François Bégaudeau, pour qui enseigner c'est se mettre au misérable niveau de ses élèves, pour qui transmettre la langue française peut se faire tout en ayant honte d'être français (« Moi non plus, je ne suis pas fier d'être français ! » réplique-t-il à un moment, acteur de son propre rôle !) eh bien face à tout cela, certains sont plutôt fiers de défendre une culture qui nous vient en ligne droite des anciens Grecs et des antiques Romains et qui avait fait du français la fleur du génie latin.

Ces trois livres d'Osenna, ce dernier ouvrage de Jacqueline de Romilly, les élèves devraient les lire dans leur scolarité. Ils comprendraient peut-être la possibilité qui leur est donnée grâce à la maîtrise de la langue française non seulement de "s'assimiler", de "s'intégrer", mais encore de s'inscrire dans une lignée qui remonte à Homère et à Sophocle.

Dans ce même premier article, p. 14 : "À notre insu, autour de nous, le chancre gagne. Et si c'est un peu obscur, tant mieux ! Cela fait savant et n'engage personne. Ainsi, quand on me dit qu'une jeunesse montre des sentiments positifs, faut-il comprendre qu'elle est favorable à telle ou telle idée ou bien que l'on peut se féliciter des sentiments qu'elle éprouve ? Le pédantisme est, en général, le paravent de l'ignorance ou de l'imprécision dans la pensée."

Mme de Romilly aurait-elle pensé à nos pédagogues de l'Ecole ? à nos ayatollahs du socio-constructivisme ? à nos incultes formateurs d'enseignants incapables et manipulés par des idéologies obscurantistes ? à nos Universitaires foucaldiens qui se gargarisent de phénoménologie et de philosophie analytique, sans rien comprendre à rien et sans rien transmettre à personne ?

Promenez-vous dans ce Jardin des mots, vous y découvrirez quelques essences en voie de disparitions, quelques accents désormais inaudibles.



Benoît Duteurtre, Le voyage en France


Solange et Monet, le Havre et les paquebots transatlantiques,
Le jardin à Sainte Adresse...


Classiques destins croisés, féconde confrontation d’un français blasé rêvant d’Amérique et d’un jeune américain idéalisant une France qui n’existe que dans ses fantasmes anachroniques, voilà ce qu’aurait pu se contenter d’être Le voyage en France. C’eut été déjà supérieur à quantité de romans que nous ménagent les rentrées littéraires année après année.

Ici, c’est bien mieux encore. C’est le roman véritable d’un bel écrivain qui, souhaitons-le, nous permettra d’étoffer nos bibliothèques de quelques textes précieux au fil des ans.


Le style, éminemment littéraire et léger, sert un humour mordant mais jamais grinçant. Evénements en cascades, péripéties, malentendus, troubles quiproquos, désirs et petites lâchetés font que rien ne se passe tout à fait comme prévu. La trame événementielle est donc passionnante à suivre, et l’ennui ne pointe jamais le bout de son nez. A aucun endroit vous n’aurez envie de finir la page en la balayant rapidement du regard pour retrouver le fil d’une histoire maladroitement interrompue. Duteurtre dose habilement la narration et le dialogue, tout en conservant une place de choix à la description, fait rare aujourd’hui où la plupart des romans ne sont que débordements poussifs et insipides d’états d’âme intérieurs. Oui, la description mérite encore sa place dans le roman. L’auteur le fait, et parfaitement.


Claude Monet a infusé en Benoît Duteurtre. La plume du second semble avoir trempé dans les couleurs du premier, et c’est une expérience plaisante de lire un texte qui semble écrit d'un pinceau impressionniste. Aussi, faut-il observer son texte avec le même recul qu’il met à l’écrire. Une touche ici, une ombre là. Un caresse légère lève le voile pudiquement posé sur un travers ridicule mais le repose aussitôt. Comme le Petit Poucet sème des cailloux derrière lui, les personnages du roman déposent des indices subtils qui conduisent en pointillés le lecteur d’un bout à l’autre de l’œuvre.


Car voilà l’autre force du roman : ses personnages secondaires. Autour des deux axes principaux que sont David l’américain décalé et le journaliste français coincé dans une vie qu’il aurait voulue plus brillante, quelques belles roues aux délicats rouages se mettent en mouvement dans un ordre parfois peu mécanique. Chacune de ces petites dents cherche sa place exacte mais n’y parvient pas vraiment, pas toujours, ou ne s’en satisfait pas. Et voilà le cours des vies orientées puis désorientées.

Comme chez tous les grands écrivains, le Bien n’est pas que du côté du Bien, ni le Mal du seul côté du Mal. C’était un grand souci d’Anatole France de montrer que « nous avons sur Terre le pire de l’Enfer et le meilleur du Paradis ». Repensons à Balzac et à l’humaine complexité de Gobseck qui le rend si attachant. Duteurtre mérite en cela aussi le nom d’écrivain.


Les personnages secondaires sont attachants parce qu’ils sont vrais, authentiquement humains, imprécis et multiples, aimantés au Nord mais tiraillés par l’envie d’aller vers le Sud. Pensons par exemple au personnage d’Arnaud, séminariste homosexualisant déchiré entre son désir profond et sa culpabilité permanente, et qui n’est pas sans rappeler certains personnages qu’on croise dans les Chroniques de San Francisco d’Armstead Maupin.


Et puis, Solange. Portrait bref et saisissant de Solange. Fulgurance de la vie et de la mort. Solange a hérité de la propriété dans laquelle Monet peignit Le jardin à Sainte-Adresse en 1867. Choc pour l’américain qui découvre le site archéologique de ses rêveries, banalité pour le français qui vient dans cette propriété depuis l’enfance. Tous deux, finalement, se retrouveront à New York, au Metropolitan Museum of Art de Central Park, pour admirer Le jardin à Sainte-Adresse qui les relie à jamais l’un à l’autre, par ces chaînes invisibles que seront à jamais la peinture de Monet et le souvenir de Solange.




mercredi 10 septembre 2008

Renaud Camus, La grande déculturation

Renaud Camus, La grande déculturation

Fayard, 2008


« Camus est un réac ! Camus est un raciste ! » Voilà ce qu’on entend, voilà ce qu’on lit dans les critiques ici ou là, dans les pages des journaux ou sur les blogs plus ou moins littéraires mais toujours très bienpensants.

Avant de condamner un écrivain si prolifique, j’ai pris le parti de le lire. Et me voilà terminant « La grande déculturation », son dernier ouvrage.

Pour l’avoir lu de près, j’assure qu’on n’y trouve rien de raciste au sens réel du terme. Ou alors, il est raciste au même titre qu’Alain Finkielkraut, c’est-à-dire qu’il pense en dehors des chemins battus par les vents de la pensée unique, désintellectualisés par le Roundup du politiquement correct, cryogénisés par l’idéal d’une prolétarisation massive de la classe bourgeoise, la seule qui porta jusqu’à présent la culture. Réac ? Alors au sens où Malraux définissait et défendait la culture. Raciste ? Facho ? Parce que c’est l’insulte flash des ignares décérébrés par l’idéologie populacière du Meilleur des monde.

Chez Wells, ou Orwell, Renaud Camus serait à abattre. Un terroriste. Il évoque pour le défendre un monde presque disparu, d’une Atlantide presque immergée : le Jurassic Park de la culture et de la pensée libre.

Tout d’abord, j’émets de profondes réserves sur le fait que ceux qui calomnient Renaud Camus l’aient effectivement lu.

C’est un drôle d’auteur Renaud Camus et sa prose peu facile d’accès (c’est une litote) décourage certainement un grand nombre de lecteurs possibles de ses œuvres, même parmi de grands « liseurs ». Non pas qu’il écrive mal, loin de là. Tout est précis et la syntaxe jamais bafouée. Pour lire Camus, il faut savoir lire, c’est un fait. Il faut s’accrocher parfois, ne pas hésiter à revenir quelques lignes plus haut, pour reprendre la phrase à son origine et en dégager le squelette puis l’argument, au-delà des multiples précisions, nuances, éclairages, mises en opposition ou en miroir, limitations ou extrapolations, ouvertures suggérées ou apories pointées.

Camus développe sa pensé féconde et profonde, éclairante et nuancée à la manière d’un penseur grec mais, là où l’on trouverait dix phrases chez Aristote, Camus n’en fait qu’une seule. Ceux qui se sont frotté à Aristote comprendront.

Renaud Camus accorde un excellent entretien à l’essayiste et journaliste Elisabeth Levy et donne une parfaite approche de La grande déculturation en deux pages :

http://www.causeur.fr/la-democratie-contre-la-culture,762

http://www.causeur.fr/la-democratie-contre-la-culture,762/2

A approfondir…

dimanche 7 septembre 2008

François Taillandier, Les parents lâcheurs



François Taillandier, Les parents lâcheurs

Editions du Rocher, 2001


"Nous avons laissé tomber nos enfants. Par inconscience, par lâcheté, par soumission, par égoïsme. Nous les surmédiatisons dès le premier âge, nous les bourrons de céréales et de fluor, nous les saturons de loisirs, nous leur offrons des baskets Nike, des consoles Sega, des connexions Internet et des téléphones portables ; nous les amenons chez l'orthophoniste à la première faute d'écriture, chez le psychothérapeute à la première crise de jalousie devant le petit frère ; nous assiégeons l'école, persuadés qu'elle ne fait jamais assez, ni assez bien. Et cependant je dis : nous les avons laissés tomber."


Le début de l’essai de François Taillandier donne le ton d’une analyse lucide et sans complaisance sur le rôle et la responsabilité des parents (que nous sommes tous… et l’auteur lui-même ne se met surtout pas hors de cause) dans le déclin de la civilisation pour ne pas dire dans son « dévissage ».


On pourrait croire encore à un écrit grognon et stérile, pleurant pour la énième fois le démembrement de la famille et l’atomisation des relations humaines, dénonçant l’abdication des parents et de l’Ecole, fustigeant le recul de la culture et la perte des repères, blâmant la confrontation de l’enfance à une sexualité sans retenue et falsifiée.


C’est tout cela à la fois et bien plus encore. Si l’auteur pousse un cri de colère, c’est autant un père qui s’inquiète qu’un intellectuel qui se révolte. Son approche n’est ni nostalgique ni culpabilisante.


Le « Rhinocéros », le « Mégamixeur », a étendu sa dictature mercantile et uniformisante sur toute la civilisation occidentale. Et ce père intelligent s’alarme : quel sort, quel avenir réserve-t-on à nos enfants ? Nos enfants que nous abandonnons en aveugles conciliants, en lâches parfaits, conscients des drames qui se joueront mais trop veules pour réagir et lutter.


Car l’originalité de ce texte réside en cela que, sans culpabiliser, montrant de quelle façon la dictature se sera calmement installée, établissant clairement la quasi impossibilité de résister pour les parents devant la pression sociale (marchande) normative, l’auteur met les parents face à leurs responsabilités : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !


Déculturation, jeux et univers virtuels, pornographie, tout contribue à enfermer nos enfants –donc notre civilisation à venir– dans un camp de concentration à domicile, une assignation à résider, à penser (ou plutôt à réagir), à consommer l’éphémère dans l’immédiateté et la vulgarité. Tout aura été fait de sorte que nous, les parents, nous nous laissions déposséder de nos enfants et du poids de l’éducation. Incapables de poser notre autorité parentale, le « Rhinocéros » se sera chargé de dresser nos enfants mais pour son profit direct et donc avec infiniment moins de bienveillance.


Tout aura été fait de sorte que nous, les parents, nous abandonnions nos enfants aux dogmes que nos chers « aïeux », les soixanthuitards ont édifié : plus d’interdit, plus de limite, plus de barrière, du sexe, de la jouissance. Le principe de plaisir et lui seul. Donc le culte absolu voué à l’égotisme sacré. Le culte absolu de l’immédiateté, du présent, de l’instant, si possible entre drogue et sexe.


Le pire des crimes contre la civilisation aura été commis par cette « génération 68 » : des siècles d’héritages jusqu’alors patiemment transmis et enrichis de générations en générations n’ont subitement plus trouvé preneurs. Une offre infinie mais plus de demande.

Or, cette génération 68 qui tient aujourd’hui le haut du pavé, qui tient les rênes des gouvernements, des entreprises, des administrations ne les tient que parce qu’elle reçut, elle, une excellente éducation, une éducation pré-soixanthuitarde fondée sur la culture, le savoir, la pensée libre et critique.

Et le crime fondamental de la génération 68 réside en ceci qu’elle priva délibérément et consciemment les générations suivantes de ce qui l’avait elle-même nourrie : le génie de la culture latine, l’amour et la connaissance d’une civilisation vieille de plus de 2000 ans.


J’espère qu’un jour la jeunesse, l’enfance d’aujourd’hui regardera la génération de ses parents (et parfois déjà grands parents) comme ils sont : de fieffés salopards qui auront bradé leur descendance aux marchands de tapis.


Oui, désormais, il n’est plus aussi évident que cela de définir le statut de parent. Géniteur, on sait encore. Parent… Et nous sommes tous concernés, sans exception. Tous nous regrettons que nos enfants ne lisent ni ne connaissent plus rien. Mais à quel enfant n’offre-t-on pas sa console, son ordinateur, ses écrans, ses mangas ? Tout est à l’avenant, et nous le savons.


Nous aurons été lâches, lâcheurs, si peu fiables. Nous nous sommes laissés aller à la facilité qu’on nous « offrait ». Mais tout a un prix…

Nous aurons été lâches, nous ne pourrons pas être hypocrites. Si un jour nos enfants nous demandent des comptes, nous ne pourrons pas dire : nous ne savions pas. Car nous savions. Nous savons.

Cette phrase de François Taillandier résume à elle seule cette pleine conscience de notre responsabilité à la fois individuelle et collective (p. 33) : « Nous ne sommes pas emportés par le fleuve : nous sommes l’eau. »

Nous avons lâché. Lâché prise. Abandonné nos enfants à un avenir qui vaut moins que notre propre passé.

La seule chose qui nous reste à faire, c’est de reprendre les rênes. Reprendre pied, reprendre la main, réaffirmer la prise sur les événements. Mais, pour reprendre le contrôle, il faut s’arracher au cyclone, ce qui veut dire accepter de se voir, de penser, de revenir sur nos pas et de redécouvrir les anciens sentiers abandonnés. Ce qui veut dire commencer à porter sur notre histoire récente et nos dérapages un regard d’une lucidité et d’une sévérité extrêmes.

lundi 11 août 2008

Benoît Duteurtre, Les malentendus


Les malentendus
Ou

Quand bienpenser
n’empêche pas de dire blanc et de vivre noir


Benoît Duteurtre, Les malentendus, NRF Gallimard, 1999


Benoît Duteurtre, roman après roman, nouvelle après nouvelle, établit progressivement, par touches successives et douces, à la manière de Impressionnistes, un portrait de la France de la fin du XXème siècle et du début du XXIème. On a déjà quelques belles scènes d’une œuvre qui pourrait s’appeler La Bouffonnerie Humaine.

De nouveau, avec son ironie légère et amusée, il évoque les impostures des bonnes pensées qui ont colonisé le cerveau complaisant de ce petit monde majoritairement écrasant, qui a bonne conscience, parce qu’il pense bien, parce qu’il dit bien ce qu’il pense bien et qui s’endort bien, le soir, sur un oreiller frais gonflé de bonnes pensées toutes faites et prêtes à être assénées au premier « fachô » qu’ils croiseront le lendemain.

Si l’on a compris et aimé l’effort de critique sociale d’Emile Zola, si l’on est attentif à l’entreprise critique et sociologique de Michel Houellebecq, on goûtera les textes de Duteurtre.

Mais ce n’est pas du Houellebecq, loin de là. N’attendons rien de dur, rien de théorisé ni de prophétisé dans Les malentendus. Tout est léger, posé là, comme une farandole de desserts sur un buffet à volonté. Couleurs harmonieuses, odeurs délicates, musique d’ambiance étudiée. Le style est parfait. Je ne vois pas ce qui empêcherait un jour à Benoît Duteurtre de postuler à l’Académie.

Les niais pétris de pensées creuses et de bons sentiments jamais éprouvés sur le fil de la raison ni jamais confrontés à la prosaïque réalité, pourraient avoir envie de bientôt refermer ce roman. Attention, snobs de droite et de gauche, vos vaines et hypocrites postures vous sauteront vite au visage, si vous passez le pont ! Franchir un Rubicon demeure risqué.

La première partie du roman installe ces personnages confits de tics idéologiques et de tocs langagiers. Un jeune gauchiste d’excellente famille, champion du droit des immigrés, une jeune et sexy chef d’entreprise de droite la anti-immigration, des beurs shootés, dealers et racketteurs, des sans papiers, un gay handicapé. Un Paris rive droite, un Paris rive gauche. La misère affective et la misère sociale se retrouvent encore pour fonder la prostitution sur l’air, presque correct, d’un service rémunéré rendu à une nation en décadence.

La seconde partie, déclenchée par le ressort classique des histoires de lit et de cocufiage donne à cette satire un air de boulevard mais sans aucune vulgarité.

On pourrait y voir encore bien des détails sur la dévirilisation du parc national des mâles français, qui, incapables de satisfaire la jeune chef d’entreprise « fachô » mais dynamique finit par entretenir un marocain clandestin et prostitué, débordante de reconnaissance envers celui qui la remet à sa place de femme comblée sous un homme viril. La jeune patronne de droite, anti-arabes devient ainsi la souteneuse d’un marocain sans papier, à qui elle permet de continuer sa double vie sexuelle et sociale et s’encanaille avec des fumeurs de joints.

Le jeune gauchiste bon teint se voit catalogué comme « fachô » par ses petits copains de Sciences-Po pour lesquels il devient la nouvelle cible, corrompue et corruptrice, à abattre.

Mesdames et Messieurs, rien ne va plus, les jeux sont faits, à la table des bienpensants…

vendredi 8 août 2008

Benoît Duteurtre, Service après vente


Benoît Duteurtre nous invite ici à voir l’homme sous l’angle de l'allégorie de la caverne revue et corrigée par la modernité. L’homme est (s’est ?) perdu au fond de l’antre numérique. Le nouveau feu ? La technologie venue « changer notre vie ». Les ombres sur les parois ? Nos nouvelles illusions : se croire libre de toute décision dans l’univers électronique qu’on dominerait et qui serait au service des hommes ; se penser relié à tout, en tout temps et en tout lieu au cœur d’une sorte de réseau fraternel et universel.

Les mécanismes sont bien dénoncés, dans ce texte où l’on flirte avec les théories de l’absurde d’un Camus ou d’un Ionesco : l’industrie numérique berce les consommateurs en leur faisant croire qu’ils sont des « clients privilégiés », elle les endort en leur offrant des cartes, des points fidélité, des cadeaux, des promotions, des voyages.

Au bout, il n’y a qu’une nouvelle forme de dictature, où les individus sont universellement uniformisés : du chef d’entreprise au pseudo adolescent rebelle, en passant par la « racaille » des banlieues et le curé en soutane. Quels que soient leur look, leur discours, tous, au-delà des signes tribaux qu’ils affichent portent les mêmes fers d’un esclavage bien réel, dont le maître absolu est l’industrie numérique, dont le fouet est la consommation dératée vers le toujours plus, le toujours mieux.

Disons-le, les victimes sont plutôt consentantes. Si on saisit bien leur ridicule, on ne peut guère les plaindre de leur aliénation progressive mais totale. Il aurait fallu ne pas abandonner l’esprit critique, mais ç’aurait été rechercher l’effort dans un monde où l’on veut nous faire croire que tout doit être toujours plus léger, plus rapide, plus insouciant.

La machine s’enraye-t-elle ? Commenceriez-vous à douter d’elle ? A refuser de payer ce qu’on vous impose sans que vous l’ayez demandé ? Vous voilà coupable d’hérésie ! Pour le moins, vous êtes prié de culpabiliser ─car la culpabilisation restera toujours le grand ressort de la manipulation des masses. Comment ? Seriez-vous de ces fous hagards et sans ambition, destinés à flotter sur une barque velléitaire au gré des flots fétides du doute ? Vous avez le choix : la rive du passéisme (mais vous êtes ringard, crucifié, mort, fini) ou celle du futurisme (et vous êtes un mec bien, dynamique, vivant, ambitieux, qui a encore un avenir).

Alors, dans un monde devenu un entonnoir, il faut choisir son camp. Résistez-vous, que vous voilà étiqueté paumé, « déclassé, rebut d’humanité », raillé par « un monde absolument moderne ». Résister, ça a un prix. Regagner le rang, c’est le confort assuré de l’uniformité.

Pour ce qui est du style, on retrouve le Duteurtre de Drôle de temps, mais avec une écriture peut-être plus rapide, un peu moins travaillée. Le dernier chapitre est faible et mériterait d’être refait. Si les idées qu’il amène sont utiles pour finir le roman (le point de vue contradictoire de l’industrie est donné, style « droit de réponse »), elles sont très vite et trop brutalement posées. On pourrait croire qu’il fallait très vite finir avant l’impression, quitte à bâcler un peu.

jeudi 7 août 2008

Honoré de Balzac, Gobseck

Ecrire sur Balzac sans avoir passé dix ans à le lire exclusivement, et dix autres années à consulter les commentateurs, semble dérisoire, présomptueux et vain. Que n’aurait-on pas déjà dit et publié sur lui ? Aussi, me
contenterai-je de donner un éclairage tout personnel et bref de ce court roman qui n’est pas le plus connu de La Comédie humaine.

Deux choses m’ont paru essentielles dans ce texte : le personnage complexe, riche et infiniment attachant de « papa Gobseck » et l’impression de retrouver un condensé d’univers entier en seul et bref roman.

Pour ces deux raisons immédiates, l’une purement affective l’autre purement littéraire, on a l’intuition d’un chef-d’œuvre.

Cher Papa Gobseck :

Gobseck, n’est pas l’Harpagon de Molière. L’avare est sous le joug de l’or qui le domine. On pourrait dire qu’il est dans un rapport d’idolâtrie, de servitude et de passivité face à la richesse. Papa Gobseck, lui, fait circuler l’argent dont il est maître absolu. L’avare possède matériellement l’or dont il jouit du contact. L’essentiel de la fortune de Papa Gobseck est faite de reconnaissances de dettes, de lettres de change, de titres, de papiers. Ses biens, que l’on suppose immenses s’avèrent plus immatériels que matériels. Il y a donc chez lui un aspect, une vision absolument moderne de la finance. C’est le personnage type du spéculateur, du capitaliste financier dirait-on aujourd’hui, mais avant l’heure. C’est l’homme qui entre « comme associé par anticipation dans les entreprises et les spéculations lucratives. »

Papa Gobseck est un usurier. Il a la face jaunâtre et vit chichement. Cliché encore courant en 1830 du juif usurier hollandais, né à Anvers (voir Montesquieu, De l’esprit des Lois, Livre 21, Chapitre 21 qui rappelle comment les juifs ont inventé la lettre de change pour se protéger des persécutions, mais aussi Shakespeare qui, quelque trois cents ans plus tôt, mettait déjà l’usurier juif en scène sous les traits de Shylock dans Le marchand de Venise).

Papa Gobseck réunit déjà la figure traditionnelle de l’usurier juif et celle moderne du spéculateur. En découvrira, en effet, que son personnage n’a rien de stéréotypé et que, loin de nuire avec son argent, il se montre un conseil éclairé, un ami fiable, un cœur généreux.

C’est ce qui le rend attachant et humain, ce fin observateur dont la science des hommes est si grande qu’il peut prédire des années à l’avance, avec l’exactitude de la loi, l’avenir financier des plus fortunés qui finiront par venir lui manger au creux de la main. Ce n’est pas un voyant mais un scientifique. Il ne voit pas l’avenir, il le calcule.

Il pourrait jouir de sa supériorité froidement, hautainement. Au lieu de cela, il va finalement organiser un jardin à la française au cœur d’une jungle impitoyable. Tous les pouvoirs sont entre ses mains : la ruse, la filouterie, la patience, le courage physique, le goût du risque. Il sait écouter et se taire, et quand il parle ses paroles sont toiles d’araignée. Il ment pour piéger les arrogants mais n’est dupe d’aucun mensonge qu’on lui fait, d’aucun piège qu’on pourrait lui tendre. Il aide un ami mais en le libérant a priori de tout sentiment de reconnaissance qui empoisonnerait leur amitié.

Papa Gobseck est un sage, et un homme fragile qui connaît les troubles des hommes, leurs souffrances et leurs joies. Grâce à lui, Derville devient un brillant avoué et se mariera avec Fanny (saine fille que lui aura si bien décrit Papa Gobseck que le jeune homme en tombera aussitôt amoureux.) Il préserve la fortune familiale du feu comte de Restaud, contre la mère et son amant pervers, pour la rendre au jeune héritier. Il rend ainsi possible l’avenir du jeune comte dans la haute société.

A-t-on vu avare restituer une fortune ? Bien plus : il utilise sa fortune pour redresser les torts causés à des innocents et cela (ce qui donne toute la valeur à sa conduite) sur le fond d’une vision extrêmement lucide et jamais mièvre de l’homme.

Par sa richesse et ses quelques limites (connues, contrôlés et dépassées), par son humanité et sa moralité (qui vaut plus qu’une simple probité sociale), par son exigence intérieure, Papa Gobseck est un personnage magnifique qu’on se prend à aimer et qu’on espère aussitôt retrouver dans un nouveau roman.

Un Univers condensé :

Microcosme ramassé sur lui-même, Gobseck donne l’impression, à le lire, d’être l’instant 0 du Big Bang. Là, tout est disponible, réuni, en puissance, en énergie, en matière, en possibilité de liaisons, en thèmes, pour la Création. Le Créateur semble sur le point de livrer cet univers absolument dense à l’expansion. Le rêve de tout astrophysicien, assister au Big Bang, est possible pour l’amoureux de littérature qui peut assister à la naissante d’un nouvel univers.

La moitié d’un thème de Gobseck suffirait à nourrir des romans entiers. Des thèmes, il y en a tant au fil des pages… et en si peu de pages. On y voit une montre suisse qui fait entrer en infiniment peu de place une multitude de rouages aux dents ajustées au micron. On assiste au manège parfait de tous les milieux : du peuple humble à la plus haute aristocratie ; de tous les comportements : de la stricte moralité qui permet l’élévation à la dépravation des mœurs qui conduit à l’effondrement ; de toutes les vertus et de tous les vices : de la naïve pureté de Fanny à l’ignoble et froid cynisme de Maxime de Trailles ou bien de l’amour filial d’un père à la pire perversité d’une mère. Manège parfait et intemporel, donc, qui tourne autour de l’axe immuable de l’argent.

Et j’allais oublier cette peinture du mariage bourgeois, où l’épouse laisse agoniser son mari sans lui porter le moindre secours pour, à l’instant même de la mort, fouiller les tiroirs et renverser les meubles du défunt en quête d’argent !

Finalement, s’il fait penser au roman absolu, peut-être est-ce parce que Gobseck est un récit primitif, fondateur comme l’on dit aujourd’hui. Le travail de l’écrivain, sa maîtrise se sent partout, dans la succession des récits de Derville et de Gobseck, dans le jeu sur la temporalité qui est modifiée par des phases brèves et transitoires de narration externe typiquement romanesques… si bien qu’on imagine déjà en lisant le roman la pièce de théâtre ou le scénario qu’on pourrait en tirer.

mercredi 6 août 2008

Benoît Duteurtre, Drôle de temps



Benoît Duteurtre, Drôle de temps
Folio Gallimard, 2001


Sale temps pour l’homme…

Ce recueil de nouvelles, certaines pouvant aisémentt se transformer en roman, fut couronné en 1997 du prix de la Nouvelle de l’Académie Française.

Souvent drôles, ces textes donnent un bel échantillon du talent de Duteurtre : savoir encore faire rire ou sourire en peignant une humanité livrée au ridicule qui la tue peu à peu. On sent chez l’auteur une colère dépassée, un dégoût lassé face à un monde superficiel, vain, nul et laid, voué à la technologie et à la communication.

Usant de la description « chirurgicale », aussi peu effective que possible, il met en relief les travers et les ridicules dans lesquels nous flottons tous plus ou moins comme des bouchons.

On n’est jamais tenté de croire que Benoît Duteurtre dénonce le monde, le stigmatise, le fustige. Sur ce monde, il porte un regard ironique mais doux, un œil lucide mais bienveillant. Lui n’est pas dupe. Les autres sont des esclaves… mais il se souvient que Socrate a bu la ciguë, que Jésus a connu la croix, abandonnés et condamnés par ceux-là même qu’ils venaient libérer.

Jésus et Socrate étaient si malpensants, si radicaux, qu’il fallait les tuer. Duteurtre, lui, est sage et « philosophe » dans le sens commun du terme. Il montre ce qu’il faut pour qu’on comprenne qui il est, mais il reste un observateur amusé et désabusé du monde.

Sévère mais pas cynique, il fait œuvre de révélateur et d’éclairagiste. Il remet en lumière ce qui n’a plus d’éclat et nous comprenons par là que le monde réel a disparu derrière l’illusion d’un monde pré-pensé, pré-fabriqué, pré-digéré, pré-vu.


Des mentions particulières pour quelques nouvelles :

« Dans la sanisette », nouvelle digne de la 4ème dimension, ouverte à toutes les interprétations, l’on finit par se demander : qui est J.C. Decaux ? Dieu ? Un envoyé de Dieu ? Le plus grand tyran de l’histoire de l’humanité ? Et la technologie ?... La plus grande aliénation de masse qu’aura jamais subie l’homme ?

Sur « La plage du havre », on verra les citadins rétablir (sur du sable, ô symbole !) une « urbanité de plage », régénérant ainsi, dans des allées de cabanes estivales, les rites et affrontements tribaux les plus immédiats, les plus ridicules, entre plages de galets hostiles et mer des années 60, alors aussi polluée de boues mortelles que peuvent l’être aujourd’hui les lieux maritimes les plus dangereux du tiers-monde.

Et pourtant, l’auteur le rappelle (p. 74) soulignant ainsi qu’il ne fut pas le seul à voir dans la laideur des occasions de beauté, c’est bien là que « Claude Monnet, dans les bassins du port, peignait son Impression soleil levant », tableau qui m’est si cher…

Lisez le portrait (p. 64-65) de la « jeune chrétienne bourgeoise » d’avant 68, et regardez celle d’aujourd’hui…

Au cœur de la « Zone Nature Protégée », Patrick, l’écolo-bobo-parisien-bienpensant verra ses paradoxes et son vide intellectuel révélés par des gens simples, de gens de la terre pour qui la Nature n’est pas un musée idéal, un écomusée idéologique prétexte à propagande, mais le cadre de leur vie réelle et quotidienne, cadre qu’il faut sans cesse aménager au mieux pour continuer d’y vivre tout simplement.

« Comme au cinéma », oui, comme au cinéma noir et blanc de la 4ème dimension encore, s’achève le recueil. Où l’homme a-t-il donc basculé ? Ses rêves des années 60 sont-ils devenus les pires cauchemars des années 2000 ?

Il y a quelque chose de Marcel Aymé dans la prose de Duteurtre. Ceux qui lisent un peu attentivement et tendent un peu l’oreille y retrouveront de lointaines couleurs et de modernes échos de l’auteur de La belle image et d’Aller-retour qui nous dépeignait déjà l’homme comme « un papillon volant légèrement de travers. »

samedi 2 août 2008

Jean-Christophe Ruffin, Le parfum d'Adam




Le Parfum d'Adam
ou

l'Ecologie radicale et ceux qui la manipulent



Le très jeune Académicien, Jean-Christophe Ruffin, a publié un roman policier ayant pour thème central l'écologie radicale.

L'auteur, grand médecin, grand scientifique, pionnier de l'humanitaire en France, diplomate et habile négociateur, s'étant fortement, et avec succès, impliqué dans la résolution de problèmes diplomatiquement épineux et physiquement dangereux telles que des prises d'otages, donne pour la première fois dans le thriller, et dans le thriller écologique au rond-point de la politique, de l'idéologie et de la science, labyrinthes qui lui sont autant de sentiers de promenades dominicales.

Si vous aimez les polars, vous serez ravis, et même comblés. On se croirait dans un policier traduit de l'américain par un excellent auteur français, quelque chose comme du Poe traduit par un Baudelaire.
Car, voyez-vous, écrire un polar autour de l'écologie, voilà qui semblait aussi peu propice à susciter un quelconque intérêt que de lire Poe non traduit par Baudelaire...
C'est le signe d'un grand auteur de faire sien, par le fond et la forme, n'importe quel sujet (à la mode ou pas) et de le mettre en valeur à ce point. Ruffin y réussit magistralement.
L'écriture, efficace, plonge immédiatement dans l'ambiance du pur thriller américain le lecteur qui se prend à rêver de voir un jour prochain le roman porté à l'écran.

Dans ce long roman (540 pages), qui promène le lecteur tout autour de la planète, Jean-Christophe Ruffin pose le problème crucial du "fondamentalisme" écologique qui, après le fondamentalisme islamique est considéré aux Etats Unis par le FBI comme le deuxième danger majeur qui menace la liberté et la démocratie.

Cette problématique, ignorée en France où le terrain commence juste à être préparé par des gentils écolos sincères à la sympathique bouille pour qui faire de l'écologie consiste à construire une maison aux normes environnementales et à se déplacer sur les pistes cyclables que les municipalités développent pour montrer l'attention qu'elles portent à la planète ; cette problématique, donc, ne manquera pas de se développer aussi chez nous dans les années à venir, et avec d'autant plus de force, de rapidité et de violence que les désordres climatiques s'affirmeront.

Il est doux de voir penser par un esprit de premier plan, reconnu et honoré par la Nation, ce qu'on pense soi-même, anonymement mais avec clarté, contre l'obscurantisme du discours commun de l'écologie et du développement durable qui ne sont pour ainsi dire plus que des alibis, de trop bonnes oppotunités pour certains de redorer leur respectabilité idéologique. Les fanatiques d'hier, gauchistes bon teint mais en besoin rapide de recyclage d'image vont pouvoir faire oublier leur gauchisme et leur marxisme-léninisme en enfilant le dossard de l'écologie.
Les Rouges deviendront Verts. Les méthodes de terrorisme physique ou moral, l'acharnement, le fanatisme resteront inchangés.
Les victimes qui feront les frais de ce nouveau fanatisme seront toujours les mêmes : les pauvres, les déshérités (cela se voit déjà dans la société française, j'en parlerai prochainement).
Au delà, la dérive de l'écologie fondamentale, de la deep ecology, prouvera, dès qu'elle montrera son vrai visage, que l'idéologie qui la fonde est viscéralement anti-humaine, anti-Homme, anti-Droits-de-l'homme, comme le sont strictement et absolument tous les extrémismes.


La parfaite honnêteté intellectuelle de Jean-Christophe Ruffin le pousse, dans une Postface, à replacer son roman dans la perspective de la pensée philosophique actuelle (depuis une quinzaine d'années) et de la création littéraire (notamment en Amérique du Nord).

Il est réconfortant d'y lire (page 534) cette référence à l'ouvrage de Luc Ferry "Le nouvel ordre écologique", dont j'ai déjà parlé dans un précédent post, par opposition au "Nouvel ordre écologique" de Michel Serres, rappelant justement que Ferry fut le premier à attirer l'attention sur ce qu'on appelait alors "l'écologie profonde" et qu'il convient désormais de nommer, il me semble, le fondamentalisme écologique.

Une phrase du roman (page 169), parmi d'autres mériterait l'inscription lapidaire aux frontons confits de bienpenseance de nos journaux nationaux, histoire de rappeler que, depuis René Descartes, la France est censée être le pays de l'esprit critique et du doute méthodique :
"Un mensonge est d'autant plus facile à fabriquer qu'il met en jeu des stéréotypes."

Et l'ouvrage tout entier est une invitation à rejeter en doute ces stéréotypes écologiques pour les regarder à la lumière d'une raison critique et les soumettre à un questionnement bien plus radical, conduisant à penser le rapport entre les deux hémisphères de la planète sur d'autres bases.

Sur cette sorte de mise en "inculpation de l'Humanité", qui est déjà -et sera chez nous, demain, portée par les gauchistes bienpensants d'aujourd'hui en fin de réorientation idéologique- la base pseudo-théorique qui "justifiera" la violence des jugements et des actes contre l'Homme, je citerai le début de la Postface, pge 533 :

"Les événements qui constituent la trame de ce roman, s'ils ne sont pas véridiques, ne me paraissent pas non plus, hélas, invraisemblables. En tous cas ils alertent sur un risque bien réel, que chaque grande conférence internationale consacrée à l'avenir de la planète fait resurgir : la mise en accusation des pauvres, considérés non plus comme un enjeu de justice, et de solidarité, mais comme une menace. De la lutte contre la pauvreté, nous sommes en train de passer à la guerre contre les pauvres."



mardi 22 juillet 2008

L'aventure des écritures, une cédérom des Musées Nationaux




L'aventure des écritures, une plongée dans 5000 ans de civilisations



Sans doute l'humanité, délaissant la tradition de l'oral a-t-elle compris un jour qu'elle avait à se faire entendre par les générations et les civilisations à venir. Un message à léguer, un témoignage, une transmission, un héritage. Rien ne dure qui ne soit écrit. L'oral, parce qu'il est éphémère et limité, fragile car son seul support est la mémoire, pollué et trahi car à la mémoire se mêle toujours l'imagination, l'oral ne peut garantir à lui seul la transmission de ce qui semble caractéristique, inhérent, essentiel à une culture. On sait tout des Romains qui écrivaient, presque rien des Gaulois qui furent leurs contemporains, si ce n'est grâce à Jules César qui les décrivit dans la
Guerre des Gaules.

Jacques Chardonne écrit, au chapitre 3 de
Claire : "Rien de précieux n'est transmissible, une vie heureuse est un secret perdu."
Sans doute. Et chaque homme est, à sa mesure, une encyclopédie qui disparait comme la vie le quitte. Mais, si le bonheur pur n'est pas transmissible, s'il demande à être vécu pour être connu, toute chose n'est pas aussi intime ni si empirique.
L'homme articule le langage depuis 100 000 ans environs, il écrit depuis seulement 5 000 ans.
Cette invention, somme toute récente, nous a fait basculer dans la dimension de la filiation, et l'écrit peut être vu comme un fil d'Ariane qui conduit les hommes à travers le dédale du temps, les couloirs des civilisations;

Cette aventure humaine, c'est ce que la Réunion des Musées Nationaux nous présente dans un somptueux cédérom
"L'aventure de l'écriture". Une base encyclopédique exceptionnelle, des documents insoupçonnables passés à la loupes et commentés, des brouillons d'écrivains, des dossiers sérieux qui rendent accessibles les enjeux politiques, économiques et religieux qui présidèrent à l'invention de l'écriture et à sa propagation. Aussi, se promener dans les sillons numériques de ce fabuleux travail, c'est rencontrer les hommes et les civilisations sur des milliers d'années.

Voilà l'occasion de se cultiver grâce à un support qui allège l'effort permanent de lire et de tourner les pages. C'est mieux que n'importe quel site Internet, et derrière chaque clic se cache un trésor...

lundi 21 juillet 2008

Alessandro Baricco : Soie

Alessandro Baricco :
Soie (beau et tais-toi, Alessandro !)



Sur le modèle de la Constitution anglaise qui interdit à la Reine de parler politique, il faudrait, à l’occasion d’une révision de la Constitution de la Vème République, interdire aux journalistes français de parler de littérature, à moins qu’ils ne fussent également écrivains.

Allez donc voir, sur le site de l’Express, un exemple de critique littéraire qui ne sait ni lire ni critiquer et qui enfile comme des perles des arguments de vente dignes d’un stagiaire d’école de commerce.

La presse a donc encensé le texte d’Alessandro Baricco comme elle l’eût fait d’un nouveau « Guépard ». 300 000 ventes en Italie, principalement à destination d’un public jeune : un best seller pour bouffeurs de Mac Do incultes.

Baricco a circonscrit son objectif et atteint sa cible. Il sert à son public de la fast-littérature, mais pas grasse du tout. Elle serait même allégée : 0% d’idée, 0% de style, 0% de structure, 100 % de vide hydrogéné pour faire prendre ce Canada dry de mayonnaise littéraire. Vous l’aurez compris, c’est si léger, si plat et si creux, si vide et si vaporeux, que Baricco ferait presque mentir Pascal qui nous soutient et nous démontre que le vide n’est pas le néant.

Pour ce qui est de l’histoire, un français part acheter des vers à soie au Japon (XIXème siècle, japon médiéval). Il tombe amoureux d’une jeune femme (même pas bridée, donc sans doute occidentale, mais complètement tatamisée dans ses comportements ! Bien sûr, nous ne saurons rien de ce mystère !) déjà prise par le vieux potentat local. Rien n’est dit, scène de geisha aux regards immobiles ; regards immobiles qui sont sensées nous faire exploser le mercure de la sensualité. Et le danger là dedans ! Oulala ! N’en parlons même pas ! On ne pique pas le cœur de la copine d’un japonais médiéval tout puissant comme ça, juste parce qu’on est un jeune, gentil, beau et français, avec plein d’or en poche ! C’est qu’ils ont la tête près du chignon, et la main sur le katana, ces gens-là ! Alors, on rentre finalement en France retrouver sa femme à qui on ne dit rien mais qui comprend tout, parce qu’elles sont comme ça, les femmes françaises, même si on ne leur dit rien, elles comprennent tout, elles pardonnent tout. Quand on a connu un tel amour impossible, que faire d’autre sinon son jardin ? Parce qu’ils sont comme ça, les Français : s’ils sont transis d’amour, ils se mettent au jardinage et attendent la mort. Les Français, eux, ont des cœurs d’artichauts et cela les rend bons jardiniers ! Ou alors ils ont tous lu Epicure et appliquent les conseils du Maître, qui sait ? Et oui, même à quarante ans, même beau, riche, aventureux et intelligent, un amour déçu et hop ! Lessivé le french lover ! Jardinier ! Avec ça, les macaronis peuvent être rassurés, il n’y aura pas beaucoup de concurrence sur les plages nipponnes cet été !

Pour ce qui est de l’inspiration ? Ambiance « Estampe de supermarché, exemplaire original du Japon, 120x80, encadré, 3€99, made in China.» Les poncifs les plus éculés et les plus niais sur le Japon et les Japonais fusent à chaque coin de phrase. Il faut vraiment ne s’être jamais un tant soit peu intéressé à cette civilisation pour véhiculer de tels stéréotypes avec autant de naïveté. Le héros de Baricco est directement tiré du Richard Chamberlain de Shogun, série culte des années 80, dont l’auteur s’est visiblement trop nourri… C’est ça, la culture télé : on finit par réécrire Goldorak en se prenant pour Sophocle.

Pour ce qui est du style : si vous aimez le degré 0 de l’écriture, vous serez servis. Vous avez aimé le vide souverain qui règne chez Christian Bobin ? Vous avez adoré Philippe Delerm dès la première gorgée de rien ? Alors vous raffolerez de Baricco ! Vous êtes en transe sur les maxi best of navets de Paulo Coelho ? Votre cam, c’est le pseudo message spiritualisant ? le pseudo conte initiatique ? Vous vouerez un véritable culte à Baricco.

Sinon, si nous n’êtes pas du style à vous faire enBOBINer, passez vite chemin et relisez sur la plage quelque chose de correct (ou même d’excellent, rien n’est interdit) que vous aviez aimé, il y a vingt ans…

dimanche 20 juillet 2008

Françoise Dolto, Les journées du centenaire


Centenaire Françoise Dolto : du souvenir à l’actualité

Le 6 novembre 1908 naissait Françoise Marette qui épousera Boris Dolto, l’un des tous premiers défricheurs de la kinésithérapie en France.

Un centenaire, quand les médias veulent bien s’y intéresser, est l’occasion de mesurer l’apport, l’importance, l’impact d’une personne, d’un art, d’un événement, d’une pensée sur le monde. Françoise Dolto, infirmière, puis médecin, s’intéressa très tôt à la psychanalyse des enfants, et même des nourrissons. Sans croire en elle, la prenant au mieux pour une farfelue, mais touchés par sa profonde et réelle gentillesse, les « patrons » de médecine d’alors la laissaient faire. Après tout, quel mal aurait bien pu faire cette femme si douce et si gentille ?

Il ne s'agit que d’écouter, lire, entendre le moindre commentaire sur Dolto pour voir que chacun en parle sans la connaître et des critiques aberrantes s’élèvent contre des théories qui ne sont ni les siennes ni inspirées de ses travaux. Aujourd’hui, dans la conscience collective, Françoise Dolto est devenue le symbole du laisser aller dans l’éducation, de la permissivité, du relâchement, de la perte des repères entre enfants et parents, etc. On a donc, au fil du temps, créé le mythe d’une Dolto fantasmée qui n’est rien d’autre que l’anti-Dolto réelle.

Les experts, eux, ne s’y trompent pas. Il suffit de lire ou d’écouter Marcel Rufo, parce que c’est l’un des plus accessible et des plus médiatisé, pour comprendre le respect et l’intérêt que continuent d’entretenir les grands psychiatres dévoués à la cause de l’enfance.

Ce centenaire pourrait être l’occasion de retourner aux textes, aux conférences, aux émissions (aisément trouvables aujourd’hui sur des supports numériques), de mesurer l’apport, l’originalité de la pensée de Françoise Dolto, l’évolution de son discours, les progrès qui en sont nés et les bénéfices qu’ils continuent de produire.

Pour les chanceux qui seraient libres les 12-13 et 14 décembre 2008, profitant de la journée mondiale de la philosophie, l’UNESCO et les Archives Françoise Dolto organisent Les journées du centenaire. Le programme est des plus intéressants, largement ouvert aux « non psy », et sa mise en œuvre, alternant conférences, débats et lectures de textes fondateurs, sera des plus enrichissantes.

Alors, si vous êtes passionnés, intéressés, curieux, soucieux de comprendre comment la pensée de Françoise Dolto interroge une société qui tend à détruire les valeurs que défendaient cette grande psychanalyste, allez passer un week-end du côte de la Maison de l’Unesco, place de Fontenoy, à Paris ; et peut-être que le véritable cadeau de Noël 2008 vous pourriez bien le recevoir dix jours plus tôt…

Ecologie : un retour au paganisme ?

Ecologie : un retour au paganisme ?


Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque sorte de puissance imaginaire... (Descartes, Le monde, Chapitre VII, Garnier 1963, page 349.)



Michel Serres, Le contrat naturel :

Je me souviens de la conférence de Michel Serres au Virgin Mégastore de Bordeaux en 1990. Auréolé de la gloire de son élection à l’Académie Française, il venait présenter son dernier ouvrage, Le contrat naturel (François Bourin, 1990)

Ce livre a presque vingt ans et, s’il reçut un accueil des plus brillants alors, je crois que le statut de récent Académicien de son auteur y fut pour davantage que l’ouvrage lui-même.

Non pas que le texte soit sans mérite, loin de là ! Et j’invite même tous ceux qui pensent la place de l’homme dans le monde et son rapport à la Nature à le relire attentivement. Non : je pense que les thèses de l’ouvrage étaient peut-être trop anticipatrices pour être prises au sérieux ou même être simplement comprises par les lecteurs de 1990.

Le Contrat naturel ne se contente pas de « dire la beauté fragile de la Terre ». Considérée depuis le début de l’humanité jusqu’à l’ère rationaliste comme une puissance maternelle et protectrice, cause de toute vie, la Nature tombe dans l’oubli à partir du Contrat social qui est théorisé par les philosophes du droit naturel moderne ; contrat qui, passé librement entre les hommes leur font quitter l’état de nature, les déracinent de la Nature pour véritablement les enraciner dans l’Histoire. L’homme oublie alors la nature, qui s’est retirée plus loin que la ligne de l’horizon humain.

Michel Serres nous dit, page 62, que « ce contrat [qui] nous fit quitter l’état de nature pour former la société [est] étrangement muet sur le monde. » Il écrit un peu plus loin : « On dirait la description, locale et historique, de l’exode rural vers les villes. […] La nature se réduit à la nature humaine qui se réduit soit à l’histoire, soit à la raison. Le monde a disparu. »

Sans le citer, l’auteur fait ici implicitement référence à Rousseau, bien sûr, (et particulièrement Du contrat Social, chapitre VIII) qui nous décrit le passage de l’état de nature à l’état civil.

En jetant les prémices d’une science appliquée, après avoir défini les critères de la connaissance objective, Descartes applique sa science de la mathématique de la nature. Cette nouvelle conception philosophique du monde révolutionne l’approche de la connaissance du monde physique. Cette domination de la nature par les hommes, les Anciens en ont rêvé, Descartes l’a fait. Cette théorisation définitive du Droit naturel vient achever le processus inauguré par Descartes.

Ce bref rappel pour éclairer la finesse de l’analyse de Michel Serres qui montre, en 1990 déjà, le prévisible « retournement » de situation (page 61) : « Or, à force de la maîtriser, nous sommes devenus tant et si peu maîtres de la Terre, qu’elle menace de nous maîtriser de nouveau à son tour. […] Plus encore que nous la possédons, elle va nous posséder comme autrefois, […] mais autrement qu’autrefois. Jadis localement, globalement aujourd’hui ». Encore plus finement, pour ceux qui voudront lire car il faut aller encore plus loin dans l’analyse de l’argumentaire, Michel Serres, par sa définition de l’homme-parasite et par sa théorie du symbiote, ainsi que par les solutions qu’il propose, notamment celle de reconduire un contrat naturel en plus du contrat social et non pas contre le contrat social continue à proposer une voie qui tend à l’Universalité, par un pacte ultime qui serait la synthèse mûrie de tous les rapports passés entre l’homme et la nature.

Il balaye ainsi a priori, en faisant l’économie de la citer, la désormais classique, creuse, fausse et manipulatrice dénonciation marxiste qui n’est que cause d’erreurs stériles mais souvent dramatiques et cause de batailles anachroniques de clochés idéologiques en ruines : l’industrie capitaliste, égoïste, aurait asservi l’univers tout entier pour son seul profit ! Si nous avions aussi mauvais esprit que les marxistes, nous ferions remarquer que ce sont d’ailleurs les pays communistes (donc pourtant anticapitalistes !) qui participent le plus à la destruction de la planète : la Chine est désormais le premier pollueur au monde, les sols les plus pollués du monde se trouvent autour des entreprises minières et nucléaires russes, nos camarades soviets coulant par ailleurs leur flotte de sous-marins atomiques au fond des océans sans la moindre vergogne, sans le moindre souci écologique…

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes qui ont asservis l’univers. Les communistes, les marxistes, les maoïstes ne sont pas en reste. Et d’ailleurs, qui nous rappelle les couleurs du drapeau planté dans un parfait mépris de l’humanité sous le pôle nord exactement ? Les fils de Marx et d’Engels nous préparent là un grand moment de paix et d’écologie planétaire !

Non, ce ne sont pas les seuls capitalistes, ni les seuls communistes. Ce sont les hommes tous ensemble, dans ce qu’ils ont de plus universel et de plus banal à la fois qui ont endommagé la Terre au point que sa santé nous inquiète tous aujourd’hui.



Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique :

A cela, il convient d’ajouter la lecture indispensable à mon avis du Nouvel ordre écologique, publié en 1992 par Luc Ferry chez Grasset.

Je me rappelle que l’ouvrage, à sa sortie, avait fait naître un véritable débat public parce qu’il replaçait la pensée écologiste moderne dans l’histoire de la pensée, mais qu’il « osait » aussi démontrer comment les thèses les plus radicales de l’écologie profonde s’appuyaient sur un antihumanisme (pour ne pas dire une haine de l’humanisme), un « sentimentalisme romantique » qui est l’une des bases du nazisme et qui se retrouve aujourd’hui dans les courants les plus gauchistes de l’écologie moderne… (Les extrêmes se rejoignent, même en écologie. Etonnant, non ?)

L’intérêt de la lecture de cet ouvrage de Luc Ferry réside autant dans la mise en perspective de toutes ces notions grâce au très sérieux travail d’historien des événements et d’historien de la philosophie qu’il propose, mais aussi par la critique radicale qu’il fait du Contrat naturel de Michel Serres. L’argumentation est philosophique, mais elle est si bien présentée, si clairement étayée par Luc Ferry, qu’elle est non seulement abordable mais passionnante.

Pour ceux qui se veulent « écolos », sans être victimes des discours manipulateurs de l’extrême gauche qui fait de l’écologie son cheval de bataille (oubliant trop aisément que les communistes sont non seulement de grands bourreaux de l’humanité mais aussi de grands fossoyeurs de la planète), ces deux ouvrages, lucides et assez antithétiques de deux philosophes contemporains sont donc vivement conseillés.

Conclusion :

A la sagacité de mes rares lecteurs, je livrerai quelques unes des questions qui me reviennent fréquemment quand je pense à l’écologie moderne :

Cette vénération de la Terre chez les écologistes est-elle réellement souci pour la planète et pour l’humanité ou instrumentalisation de l’état de la planète contre l’humanité et principalement contre une forme d’humanisme développé en occident ?

Cet écologisme anti-humaniste n’est-il pas un anti-occidentalisme ?

Cet anti-occidentalisme n’est-il pas une forme encore larvée d’anti-chrétienté (comprise d’ailleurs davantage dans sa dimension historique et culturelle que religieuse) ?

Cette déification de la nature, à laquelle on assiste de plus en plus clairement, n’est-elle pas un retour à ce qui fut les fondements même du paganisme ? Et là, nous savons tous où conduit l’exacerbation d’une nature sanctifiée, d’une nature qui propose à l’homme la relation païenne et romantique.

N’y a-t-il pas, dans l’écologisme tel qu’il se développe, une lutte contre la raison, contre la rationalité, visant au développement, dans ce domaine précis après qu’elle en ait corrompu tant d’autres, de l’irrationalité ?

L’écologisme, s’il se veut un discours contre la science et contre le progrès, peut-il raisonnablement faire croire qu’il veut le bien de la planète et le bonheur des hommes alors que ce défi, de garder la planète en un état suffisant pour que les civilisations perdurent, seuls les progrès scientifiques unis à une action politique raisonnée et globalisée sauront justement le relever ?