dimanche 25 mai 2008

Le Surréalisme est-il un discours contre la Raison, l'Individu, la Liberté, la Démocratie, la République ?


Je lis à l’instant l’article de Sarastro sur l’élection de Jean Clair à l’Académie Française. Et voilà que je me sens tenu d’y réagir, pour des raisons philosophiques.

Il est louable et courageux d’oser rappeler le titre complet d’une œuvre que l’AFP n’a pas pu…ou jugé bon de citer en intégralité… Ainsi, celui que ça intéresse pourra la trouver.

De l’audace, au sens étymologique du terme, il en faut pour oser proposer une « fiche » de ce livre de Jean Clair qui, bien plus qu’une fiche, s’avère vite être une invitation à une réflexion critique (donc libre, parce que jetant méthodiquement le doute sur…) sur le mythe surréaliste tel qu’il est désormais établi qu’il faut et faudra à jamais le célébrer. Deux principales lignes de force, donc, et deux propositions, deux invitations à réfléchir. Deux plats principaux au menu. Ce sera copieux à souhait pour quelques uns, je l’espère. A priori indigeste pour beaucoup. Inenvisageable pour d’évidentes raisons de diététique intellectuelle pour le plus grand nombre.

Les deux directions indiquées se rejoignent nécessairement. Que le surréalisme soit un mouvement antidémocratique, haineusement antidémocratique, et qu’il s’appuie sur des stratégies extrémistes et haineuses, il suffirait pour s’en convaincre de chercher le nombre d’anathèmes lancés par les surréalistes, de condamnations, de violences et d’incitations à la haine dont ont été victimes ceux qui ne correspondaient pas à leurs purs critères.

Un historien de la littérature devrait un jour établir le dictionnaire des insultes et des insultés, des victimes innocentes, des artistes talentueux étouffés dans l’œuf et privés d’audience, des artistes talentueux qui furent connus mais privés d’actualités ou de postérité par le diktat des surréalistes.

A cette dimension antidémocratique caractéristique, qui sied si bien à toute les formes de dictature, et donc au stalinisme tant aimé d’Aragon, il faut en effet ajouter la défiance affichée, le dégoût profond, le rejet viscéral du rationalisme.

Or la France est rationaliste par essence. Cette conscience claire, qui fut initiée par Descartes et portée à son sommet par l’esprit des Lumières, que la raison et le rationalisme sont les conditions de l’émancipation de l’humanité, fut largement, en effet, attaquée et bafouée par des mouvements tels que le Surréalisme. Suivant la même dynamique, la même « logique » (il faudrait dire « la même illogique ») et sans pousser trop loin l’analyse, on pourrait voir comment, à la même époque, dès la fin des années 1930, l’Ecole de Francfort elle-même, s’écartant définitivement de sa pensée première, finit par établir une relation d’équivalence entre Raison et Oppression. Le totalitarisme est présenté comme le fils logique et biologique, consubstantiel, de la Raison. L’homme étant (ou étant devenu) un animal rationnel, l’apparition régulière de totalitarismes serait immanente au nécessaire développement de l’homme. Voilà ce qu’il fallait penser dès la fin de la seconde guerre mondiale. L’Eglise, bien sûr, pouvait être au comble de la joie. La raison = le camp de concentration, le goulag !

Ce discours-là était, de plus, servi par des gens ou des mouvements qui avaient eu des origines marxistes ! Là, ce n’est pas anodin… Cela offrira le double avantage de se débarrasser de la rationalité d’une part et, d’autre part, de se déculpabiliser, de s’affranchir, de s’exonérer de toute responsabilité face aux exterminations de la dictature stalinienne. C’est ce que ne manqueront pas de faire les Surréalistes, dictateurs condamnant les dictatures.

Les Surréalistes, contempteurs de la morale bourgeoise, comme le rappelle Sarastro, sont aussi les plus virulents dénigreurs de la pensée des Lumières et on retrouve là les thèmes fondateurs du romantisme, et particulièrement du romantisme allemand qu’on retrouvera comme chacun sait dans la pensée de Nietzsche comme dans la Phénoménologie heideggérienne : haine de la raison, de la volonté, de l’individu, de la science, du progrès technique, de la pensée moderne, éloge de la nature, de la force, de l’instinct, du corps, de la pensée antique contre les modernité…ou plus exactement de ce que les romantiques peuvent puiser dans la pensée antique pour étayer, quelque soit leur mauvaise foi, leur propre théorie.

On sait où cela a conduit. Et pourtant, comment cette critique de la raison a-t-elle pu si faussement, si mensongèrement, se constituer et se propager au point qu’il fallait se méfier de la raison même en philosophie, au point que la philosophie soit devenue irrationaliste, heideggérienne, hégélienne.

C’est là un premier postulat qui n’engage que moi, mais quiconque est véritablement rationaliste ne peut aller en philosophie au-delà de Kant, et lire Kant de près c’est se convaincre que la porte est déjà ouverte (par lui sans doute) à ces post-kantiens qui, trahissant la pensée kantienne trahiront aussi l’Aufklärung.

D’où un second postulat qui pose que fausser ainsi délibérément la définition de la nature réelle de la Raison, ce n’est pas seulement relancer le débat des Anciens et des Modernes, mais c’est sauter à pieds joints dans le Romantisme qui fut le véritable opium des peuples, dans le Surréalisme qui fut LSD des masses au service de la destruction de l’esprit critique et méthodique. Ce fut sauter à pieds joints dans la barbarie.

Il faudrait du temps pour définir plus amplement ces deux postulats. Ce n’est pas le lieu du blog, à moins d’une ouverture sur une « discussion » qui demeure le rêve avoué de cette démarche bloggeuse !

Il faudrait clarifier ce que fut la pensée des Lumières, montrer quel va être le sort réservé à la Raison, comment on va progressivement lui « tordre le cou ». Pour cela, il faut poser le Positivisme et l’Historicisme pour en faire une critique radicale et montrer comment, faute de cette critique radicale, on restera prisonnier d’une vision erronée et pervertie de la Raison et que, dans ce cas, la porte restera toujours plus ou moins ouverte aux élucubrations oiseuses des sciences occultes et des sectes spiritualisantes dans les cas les plus bénins et à l’extrême barbarie des totalitarismes dans les moments les plus graves. Notons ici que le parallèle entre l’occultisme, la secte et la dictature n’est pas anodin.

Il faudrait montrer le processus de déconstruction ontologique de la Raison et le développement d’une théorie illusionniste de la Raison par ses détracteurs. C’est à la philosophie de l’histoire qu’il faut s’attacher pour cela, en montrer ses apories et ses antinomies.

Quoi qu’il en soit, tenons pour assuré que le Surréalisme, comme le Romantisme, dans leur critique manipulatoire de la Raison ne peuvent osciller qu’entre anarchisme et totalitarisme, négation de l’individu, négation de la pensée moderne, des Droits de l’Homme et donc, poussant jusqu’au bout notre raisonnement, négation de l’idée même de République.

A l’ouvrage que conseille Sarastro, « Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes » de Jean Clair, j’ajouterais volontiers deux lectures complémentaires, base nécessaire à toute discussion possible : « La philosophie des Lumières » d’Ernst Cassirer et « Misère de l’historicisme » de Karl Popper.

Le « post » est déjà long. Je réserve pour une prochaine fois ce que je pense de façon plus privée, plus affective et moins intellectuelle, des Surréalistes… au sujet de cet odieux pamphlet collectif qui fut l’un de leur premier coup d’éclat en 1924 à l’occasion des obsèques d’Anatole France : « Avez-vous déjà giflé un mort ? »

vendredi 23 mai 2008

Monet, Impression, soleil levant


Monet, Impression, soleil levant
Verlaine, Romances sans paroles

Le Monet que j’ai accroché en haut du Blog, tout le monde le connaît : les jeunes peintres dont les œuvres sont refusées dans les salons officiels organisent une exposition « d’anonymes » en 1874. Claude Monet y présente Impression, soleil levant. Voulant les railler méchamment, un critique artistique nommera son article : « L’exposition des Impressionnistes » et baptise ainsi malgré lui un mouvement artistique naissant et dissident. (Un mouvement artistique naissant peut-il être autre que dissident ?)

Si l’on voulait faire un peu d’histoire de l’art impressionniste, cette œuvre s’y prêterait à merveille bien évidemment. Si je voulais présenter à un enfant les caractéristiques des techniques impressionnistes, c’est devant ce tableau que je lui demanderais de s’arrêter. Il suffirait d’aller au Musée Marmottan

A Monet que j’adore, j’associe toujours Verlaine, l’un de mes poètes préférés. Les procédés communs aux peintres Impressionnistes et à la poésie de Verlaine… Là encore, cela a dû être fait, bien fait, bien mieux fait que je ne saurais.

En 1874, Paul Verlaine publie Romance sans paroles. La huitième de ses Ariettes oubliées, « Dans l’interminable ennui de la plaine… » est peut-être, parmi tant d’autres, le poème impressionniste absolu. Le vers s’y fait paysage et le paysage peint l’âme. Ce détour, cette excursion au dehors pour revenir au-dedans, c’est tout l’art de Verlaine. Tremper son vocabulaire dans la lumière et la couleur pour en ramener une évocation de notre perception plutôt qu’une image nette. Quelques flous indices du poète au lieu de l’expression de son « je ». Confuse frontière. Impressionnisme.

[…]

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme les nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

[…]

jeudi 22 mai 2008

Karajan et l'Académie

Morand l'avait dit...
A lire dans le
Calmeblog ce texte de Sarastro sur Karajan et l'édition en général, texte qui résume bien des choses et rappelle des mises en gardes, des "principes de précaution" qu'il faudrait toujours suivre. La meilleure des émissions peut n'être parfois qu'une émission de promotion...

Luigi Pirandello, Eau amère

Luigi Pirandello, Eau amère
Nouvelle, Folio

Théorie condensée, précis du couple à l’usage de ceux qui en sont déjà revenus et qui n’en cherchent plus, depuis longtemps, le mode d’emploi, Eau amère est une nouvelle où l’on peut entendre la langue particulièrement vivante, « méridionale », de Pirandello. Il y a quelque chose de Pagnol en Pirandello, pourrait-on dire si l’on s’accordait le droit de taquiner la pure temporalité et, n’ayons pas peur des rapprochements, une manière de peindre les caractères qui rappelle les personnages de Giono.

Comme dans La mort à la bouche, Luigi Pirandello nous sert un dialogue très « monologué » au fil duquel Bernardo évoque pour un inconnu, client lui aussi de la station thermale où ils suivent tous deux une cure, le désastre de sa vie de couple. Et c’est encore pour l’auteur l’invitation faite au lecteur de s’appuyer sur le particulier pour tenter de s’élever un peu vers l’universel.

Depuis des lustres, pour tout le monde dans la station, le gros Bernardo est « le mari de la doctoresse »…depuis exactement ce jour où sa femme Carlotta l’a abandonné pour le médecin de la station.

Carlotta demeure la plaie ouverte, incicatrisable et purulente, la source morbide d’autocontagion de Bernardo. Une femme avec laquelle il ne se serait jamais marié si le choléra ne l’avait mortellement frappée, s’il n’avait été convaincu qu’elle en mourrait et qu’elle ne pouvait comparaître devant Dieu dans un tel état de péché ; une femme pécheresse et déchue avant même de connaître Bernardo pour qui elle n’aurait dû être qu’un amusement de passage ; une femme qui lui fera expier cette liaison peccamineuse jusqu’à la fin ; une femme plus forte que le choléra et qui continuera de lui empoisonner le reste de sa vie, telle est Carlotta. Il est des rencontres qu’il vaudrait mieux éviter !

Bernardo assiste, impassible et philosophe, à la naissance de l’idylle entre Carlotta et le jeune médecin veuf, tout de noir vêtu, ténébreux et ombrageux. Il y assiste, en prend stoïquement son parti et sauve la face parce que les verrous sociaux ne sont pas levés. Il ne condamne pas sa femme pour un fantasme… Mais, à l’issue d’une nuit d’ivresse, le jeune médecin vient scandaleusement provoquer Bernardo chez lui. Quoique le mari s’en fût passé, le duel est inévitable et, malgré son ignorance complète des armes, Bernardo le remporte. L’honneur est sauf, le mariage est mort. Carlotta se précipite au chevet du médecin bientôt rétabli pour ne plus jamais le quitter.

Depuis, Bernardo, devenu obèse, revient chaque année dans cette station thermale. Etrange et malsain pèlerinage. Il ne peut repartir, redémarrer une vie qui s’est arrêtée là, il ne peut rompre ce lien à la souffrance qu’il entretient par ce rituel inquiétant. Que croit-il faire ? Cherche-t-il à montrer à Carlotta combien elle réussit, à distance, après treize ans, à parachever sa lente destruction, à propager en lui le mal irréversible, la mort lente ?

Confit dans sa souffrance comme ces malades qui se roulent perpétuellement dans les draps sales et poisseux de leur maladie, il tisse tranquillement son linceul. Masochisme ? Culpabilisation ? Le temps a cessé de s’écouler. La balle du pistolet de duel qui a blessé le rival a libéré la femme et emprisonné le mari à jamais.

Ce qui lui est arrivé, Bernardo n’arrive pas à le digérer. Son foie est malade. Ce qui lui est arrivé, il ne parvient pas à l’avaler. La pilule est trop amère. Plus amère encore que cette imbuvable et nauséeuse eau de régime qu’il faut pourtant boire. Pour Bernardo, la vie n’est plus qu’une eau amère, la plus amère des eaux dont il ne parvient pas à porter la coupe à ses lèvres pour la vider enfin et l’éloigner de lui.

On retrouve, dans cette belle et forte nouvelle, des thèmes chers à Luigi Pirandello : une manière de pessimisme face à la difficulté, à l’impossibilité radicale et essentielle, de trouver le bonheur au sein d’un couple qui tue l’amour en transformant l’homme en mari, la femme en épouse, le désir en devoir, la pulsion en respect. Le couple virilise la femme, féminise l’homme. Les polarités sont bouleversées, les aiguilles s’affolent. Ce sont les écueils de la vie, les récifs du quotidiens assurés.

Parmi les modulations de ce texte aux lointains échos douloureusement autobiographiques, au cœur d’une vision aujourd’hui convenue du couple et de ses apories, Pirandello fait preuve d’une grande modernité. Il pose la « parité » (comme on dit aujourd’hui) de l’homme et de la femme jusque dans les domaines les plus intimes : les désirs et les fantasmes. Cette absolue égalité reconnue à la femme par son époux en un temps (l’épidémie de choléra date précisément l’action à la fin du XIXème siècle) et en un pays où ne peuvent régner avec suprématie que l’homme, la famille, le foyer, l’ordre moral le plus strict, verrouillé à double tour par un pointilleux sens de l’honneur et une intransigeante religion, montre toute la modernité, et presque la modernité prophétique de ce texte.

Et c’est en cela aussi qu’il prend toute sa valeur. Carlotta, la haïssable Carlotta, à peine dépeinte dans l’œuvre, apparaît comme une héroïne moderne dans ce qu’elle peut avoir de plus trouble et de plus exaltant, une héroïne qui s’affranchit des carcans et prend sa vie en main, qui refuse le malheur, la soumission, l’esclavage, la culpabilisation et construit activement son bonheur, en jetant elle-même les bases d’une nouvelle vie qu’elle invente… Bonne lecture !

dimanche 18 mai 2008

Luigi Pirandello, La mort à la bouche

Luigi Pirandello, La mort à la bouche
Nouvelle, Folio Gallimard

La mort à la bouche, un hymne à la vie !

Deux hommes sur le quai d’une gare. Le deuxième homme a manqué son train d’une minute. Le premier se trouve là, sur le quai, sans raison apparente. Un dialogue s’engage alors entre ces deux voyageurs immobiles : les soucis du retardataire, le discours critique de l’autre qui, par association d’idées, sautant du coq à l’âne, développe peu à peu sa vision de la vie, la vision de sa vie depuis qu’il se sait condamné par une maladie incurable.

Ainsi, le condamné tente de démontrer l’absurdité et la vanité de la vie… Cette vie qui nous agite, nous secoue, nous malmène, nous alarme, nous préoccupe, nous bouleverse, ne sert à rien. Cette ridicule et insignifiante vie humaine est comparable à une planète soumise en permanence à une cause inopinée de destruction totale : la mort. Malgré elle, seule donnée certaine de l’existence, l’homme, dans son aveuglement, vit chaque jour en se projetant dans un lendemain qu’il ne sait pas hypothétique, dont il a oublié qu’il était absolument conditionné.

Finalement, le deuxième homme attire calmement l’attention de son interlocuteur sur la manière vaine et creuse dont les hommes conduisent leur existence. Ici, même si le discours demeure délibérément infra philosophique, on ne peut pas éviter de se rappeler, même rapidement, les Stoïciens et les Epicuriens de l’Antiquité, ou encore le Livre IV de l’Ethique où Spinoza offre cette si célèbre proposition : "L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation, non de la mort, mais de la vie."

Ce n’est pas de l’inanité de la vie qu’il s’agit, mais de la vanité de l’homme dans cette vie qui lui est donnée et reprise n’importe quand, n’importe comment.

Alors, dans cette gare, lieu de passage, de transition, d’aiguillage, ce dialogue… Est-il vraiment un dialogue ? On pourrait en douter. Les deux hommes ne seraient-ils pas un seul et même homme à deux moments de sa vie ? Un dialogue entre soi et soi, entre l’homme qui fut et celui qui est, entre celui qui n’est déjà plus et celui qui ne sera bientôt plus du tout… Un monologue intérieur qui prend davantage la forme d’une pièce de théâtre que d’une nouvelle pour montrer que la mort est encore pour l’homme l’occasion d’un dernier et indispensable examen de conscience qui pourrait bien lui donner la clé de l’humanité : Qu’est-ce qu’être homme ? Qu’est-ce que la vraie vie ? Comment la vivre ?

La mort prochaine est l’ultime possibilité offerte à l’homme d’un retour aux choses essentielles, vraies, simples, aux choses mêmes. Bien plus qu’un simple Carpe diem, La mort à la bouche nous propose de scruter la vie et de nous scruter en train de la vivre… Et, malgré tous les paradoxes que Pirandello relève sur la vie de l’homme, quel majestueux cri d’amour à la vie lance-t-il à la fin de sa nouvelle !

samedi 17 mai 2008

Leonardo Sciascia, Une histoire simple

Leonardo Sciascia, Une histoire simple
10/18 - 82 pages

Paru le jour de la mort de l’auteur sicilien, ce dernier roman traite du thème central de l’œuvre de Sciascia : la dénonciation critique d’une société sicilienne aimée mais égarée entre les mains de la Mafia.

Sans doute épuisé par la maladie, ses forces aspirées par la mort prochaine, ce fils d’Agrigente nous laisse davantage la structure d’un récit qu’un roman proprement dit. Peut-être même nous lègue-t-il là la formule, l’équation du roman policier par excellence. On pourrait développer sans peine les quelque 70 pages d’Une histoire simple pour en tirer un polar de 400 pages, plein du suspens qui lui vaudrait un succès mérité et, rêvons en, une adaptation au cinéma. Au bord de la mort, Sciascia montre un style encore plus ramassé, condensé, regroupé, concentré. Que du muscle, pas de graisse.

Qui connaît un peu les Italiens y retrouve cette ironie qui leur est propre et les mène tout naturellement et en permanence à la limite de la transgression, dans une dynamique de provocation qui est vécue par chacun comme un jeu social assumé ne conduisant pas nécessairement au conflit entre les individus. Le subalterne attaque une autorité qui réagit mais ne censure pas, qui laisse au contraire s’exprimer « démocratiquement » une forme de contestation.

Le suspens, l’ambiance, le caractère des personnages lucides et virils, la campagne sicilienne, la rivalité de la Police et des Carabiniers, tout est là. L’histoire trouve un dénouement brutal, dans une ambiance feutrée et pesante, par un duel digne d’un western de Sergio Leone.

A la fin, la Vérité et le Bien semblent triompher… Mais cette victoire n’est que superficielle. Seule l’écume du Mal a été soufflée par un bref vent de justice. Et même, la vérité n’étant pas complètement faite, contrairement à ce que laisserait croire une lecture superficielle, le lecteur assiste en fait à la victoire du Mal, présenté comme trame de la réalité, canevas de la société. Le Mal, la Mafia qui n’est jamais nommée, montre son omniprésence, démontre son omnipuissance et, régnant au cœur même de l’Eglise, continuera son œuvre.

Là où on croyait le monstre décapité, on s’aperçoit que seule une tentacule de la pieuvre s’est en fait décrochée…pour se poser ailleurs sans doute.

Tout cela est proposé au lecteur en quelques dizaines de pages seulement, sans que Sciascia ne le dise ou ne l’explique jamais. C’est par l’absence d’explication qu’il donne à comprendre, par le défaut de description qu’il dépeint. L’implicite est posé là, comme un possible à saisir ; le prend qui veut.

Pour le fond et la forme, cette ultime contribution de Sciascia à la littérature italienne est donc significative et, pourrait-on dire, testamentaire.

lundi 12 mai 2008

Lettore, traditore !

Un texte intéressant à lire sur le calmeblog de Sarastro : "Les caves, vingt ans après" offrant deux points de vue, deux sentiments sur Les caves du Vatican, de Gide, à vingt ans d'écart.
Il y a là quelques ouvertures possibles au débat, esthétique ou théorique.
Le profil du blog comme celui du blogger sont clairs et sont la possibilité offerte semble-t-il à des débats de qualité, alors : allons-y !

Leonardo Sciascia, "1912 + 1"


Leonardo Sciascia "1912+1"
Collection 10/18 - 128 pages



On est à San Remo en 1913. Une femme d'officier des Bersaglieri, la comtesse Tiepolo, tue l'ordonnance de son mari avec qui elle avait eu la fâcheuse idée d'avoir une aventure gourmande. Elle est enceinte du soldat, le pauvre Polimanti, mais réussit à avorter en garde à vue. Issue d'une grande, noble et prestigieuse famille. La coupable est acquittée dans une Italie catholique qui veut défendre à tout prix le mariage, la famille et ne pas entacher la réputation d'une armée enfin victorieuse contre un peuple africain sous-développé et qui sait remettre dans la bouche de la nation un goût d'Empire.
Fils d'italien qui fut Bersaglier de 1936 jusqu'à Tobrouk, avant d'être finalement et heureusement capturé par les Anglais, je ne pus résister à l'envie de lire ce court texte.
L'histoire est vraie, le travail de Sciascia quasi journalistique. C'est assez bien mené dans l'ensemble. On comprend bien les données sociologiques et idéologiques de l'époque. Les Bersaglieri sont assez bien décrits, proche de l'image que j'en avais. C'est l'équivalent de le Légion Etrangère, version macaroni. Pas très marrant.
Cette oeuvre, pour un Français, est souvent déconcertante. La construction est faible par moments, la critique sociale trop explicite, trop donnée, trop argumentée. Le sujet, le meurtre commis par une femme adultère pour mettre terme à sa récréation, apparaît avec trop d'évidence comme le simple prétexte d'une critique radicale de l'Italie de cette époque, telle que me la décrivait mon père. Le thème est littéraire, le rhème sociologique, idéologique. La chose littéraire ne s'y retrouve pas, elle y perd, y est maltraitée.
Sur le fond, l'auteur attaque la conscience politique collective, mais n'aborde pas du tout la conscience religieuse de la société italienne d'avant-guerre. C'est un parti-pris étonnant et qu'il faut relever. Il assure un guidage de la pensée du lecteur qui me laisse très sceptique.
Il attaque aussi à de nombreuses reprises Gabriele d'Annunzio, sorte d'Anatole France italien, mais un lien esthétique trouble semble l'unir à lui néanmoins. C'est étrange, assez désagréable à lire. Tout simplement, ce n'est pas le lieu, la place ! Ce n'est pas dans un roman qu'il faut faire cela, mais dans un essai, un journal, une correspondance. Là, on est face à une oeuvre étrange, hybride, inconfortable. Le plaisir n'est pas évident à prendre.
Pour la forme, c'est un texte italien, ça ne fait pas de doute. Et la traduction le rend bien. Il y a une manière de penser, de dire, d'assembler, d'associer, de présenter qui me rappelle souvent les propres manières de penser et de dire qu'avait mon père. Le traducteur a donc très bien travaillé.
Sciascia a voulu un texte concis à extrême, et cela le fait tomber dans un tel excès de sobriété qu'il semble finalement brutal. On n'est pas dans la concision par le cisèlement d'orfèvre, mais dans la concision par le dépouillement érémitique. C'est un choix. Peut-être dû à l'âge de l'auteur... Quand le diable est vieux, il se fait ermite, dit le proverbe. Pour nous, Français, amoureux d'une langue riche et fluide, c'est trop râpeux. Il manque les épithètes, les figures de style, les comparaisons, les oppositions, les oxymores, etc. Là, vraiment, c'est sec, très sec. Mais l'auteur est sicilien. C'est un terroir particulier.
Contrairement à ce qu'écrit René de Ceccathy, du Monde, en quatrième de couverture, c'est un texte sans poésie et un récit plus ou moins policier mais sans énigme. La société n'est pas mystérieuse ni l'homme énigmatique.
Ce que j'y ai trouvé de plaisant est donc très personnel, très lié à un sentiment de filiation, relève de l'intime et non du littéraire...

dimanche 11 mai 2008

Esprit du Cabinet Littéraire

Le Cabinet Littéraire se veut entre le "cabinet de curiosités" et le "salon littéraire".


Collectionner c'est inviter.
Collectionner des "curiosités" littéraires et culturelles, cela ne peut s'envisager raisonnablement seul sans risquer le ridicule et ce blog est amicalement ouvert à tous ceux qui voudraient participer, échanger, enrichir, amener une remarque, un sentiment, une impression, une citation, un texte, un lien...
Salon littéraire virtuel, Le Cabinet Littéraire voudrait donc devenir un lieu et un temps de réunion régulière (idéalement !) pour discuter aussi, de façon intellectuelle mais non mondaine, polie mais pas compassée, imprévue et spontanée de l'actualité de l'époque.

Un espace ouvert d'échanges sur la chose littéraire et culturelle au sens large, autorisant des "propos" sur la société (Éducation, Politique...), mais au sens majuscule du terme, des réflexions d'ordre général ne tirant pas vers la théorisation mais qui, ancrées à une base historique, philosophique, théorique ou éthique, offrent un lien, un regard, une lumière sur le monde contemporain.

Tous les courants, thèmes littéraires, auteurs y ont bien sûr leur place, mais aussi l'actualité littéraire en fonction des goûts et de l'humeur, la littérature de jeunesse, la critique de livres, le "commentaire" de textes brefs, des conseils de lecture, anecdotes, etc.