Leonardo Sciascia, Une histoire simple
10/18 - 82 pages
Paru le jour de la mort de l’auteur sicilien, ce dernier roman traite du thème central de l’œuvre de Sciascia : la dénonciation critique d’une société sicilienne aimée mais égarée entre les mains de la Mafia.
Sans doute épuisé par la maladie, ses forces aspirées par la mort prochaine, ce fils d’Agrigente nous laisse davantage la structure d’un récit qu’un roman proprement dit. Peut-être même nous lègue-t-il là la formule, l’équation du roman policier par excellence. On pourrait développer sans peine les quelque 70 pages d’Une histoire simple pour en tirer un polar de 400 pages, plein du suspens qui lui vaudrait un succès mérité et, rêvons en, une adaptation au cinéma. Au bord de la mort, Sciascia montre un style encore plus ramassé, condensé, regroupé, concentré. Que du muscle, pas de graisse.
Qui connaît un peu les Italiens y retrouve cette ironie qui leur est propre et les mène tout naturellement et en permanence à la limite de la transgression, dans une dynamique de provocation qui est vécue par chacun comme un jeu social assumé ne conduisant pas nécessairement au conflit entre les individus. Le subalterne attaque une autorité qui réagit mais ne censure pas, qui laisse au contraire s’exprimer « démocratiquement » une forme de contestation.
Le suspens, l’ambiance, le caractère des personnages lucides et virils, la campagne sicilienne, la rivalité de la Police et des Carabiniers, tout est là. L’histoire trouve un dénouement brutal, dans une ambiance feutrée et pesante, par un duel digne d’un western de Sergio Leone.
A la fin, la Vérité et le Bien semblent triompher… Mais cette victoire n’est que superficielle. Seule l’écume du Mal a été soufflée par un bref vent de justice. Et même, la vérité n’étant pas complètement faite, contrairement à ce que laisserait croire une lecture superficielle, le lecteur assiste en fait à la victoire du Mal, présenté comme trame de la réalité, canevas de la société. Le Mal, la Mafia qui n’est jamais nommée, montre son omniprésence, démontre son omnipuissance et, régnant au cœur même de l’Eglise, continuera son œuvre.
Là où on croyait le monstre décapité, on s’aperçoit que seule une tentacule de la pieuvre s’est en fait décrochée…pour se poser ailleurs sans doute.
Tout cela est proposé au lecteur en quelques dizaines de pages seulement, sans que Sciascia ne le dise ou ne l’explique jamais. C’est par l’absence d’explication qu’il donne à comprendre, par le défaut de description qu’il dépeint. L’implicite est posé là, comme un possible à saisir ; le prend qui veut.
Pour le fond et la forme, cette ultime contribution de Sciascia à la littérature italienne est donc significative et, pourrait-on dire, testamentaire.
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