lundi 12 mai 2008

Leonardo Sciascia, "1912 + 1"


Leonardo Sciascia "1912+1"
Collection 10/18 - 128 pages



On est à San Remo en 1913. Une femme d'officier des Bersaglieri, la comtesse Tiepolo, tue l'ordonnance de son mari avec qui elle avait eu la fâcheuse idée d'avoir une aventure gourmande. Elle est enceinte du soldat, le pauvre Polimanti, mais réussit à avorter en garde à vue. Issue d'une grande, noble et prestigieuse famille. La coupable est acquittée dans une Italie catholique qui veut défendre à tout prix le mariage, la famille et ne pas entacher la réputation d'une armée enfin victorieuse contre un peuple africain sous-développé et qui sait remettre dans la bouche de la nation un goût d'Empire.
Fils d'italien qui fut Bersaglier de 1936 jusqu'à Tobrouk, avant d'être finalement et heureusement capturé par les Anglais, je ne pus résister à l'envie de lire ce court texte.
L'histoire est vraie, le travail de Sciascia quasi journalistique. C'est assez bien mené dans l'ensemble. On comprend bien les données sociologiques et idéologiques de l'époque. Les Bersaglieri sont assez bien décrits, proche de l'image que j'en avais. C'est l'équivalent de le Légion Etrangère, version macaroni. Pas très marrant.
Cette oeuvre, pour un Français, est souvent déconcertante. La construction est faible par moments, la critique sociale trop explicite, trop donnée, trop argumentée. Le sujet, le meurtre commis par une femme adultère pour mettre terme à sa récréation, apparaît avec trop d'évidence comme le simple prétexte d'une critique radicale de l'Italie de cette époque, telle que me la décrivait mon père. Le thème est littéraire, le rhème sociologique, idéologique. La chose littéraire ne s'y retrouve pas, elle y perd, y est maltraitée.
Sur le fond, l'auteur attaque la conscience politique collective, mais n'aborde pas du tout la conscience religieuse de la société italienne d'avant-guerre. C'est un parti-pris étonnant et qu'il faut relever. Il assure un guidage de la pensée du lecteur qui me laisse très sceptique.
Il attaque aussi à de nombreuses reprises Gabriele d'Annunzio, sorte d'Anatole France italien, mais un lien esthétique trouble semble l'unir à lui néanmoins. C'est étrange, assez désagréable à lire. Tout simplement, ce n'est pas le lieu, la place ! Ce n'est pas dans un roman qu'il faut faire cela, mais dans un essai, un journal, une correspondance. Là, on est face à une oeuvre étrange, hybride, inconfortable. Le plaisir n'est pas évident à prendre.
Pour la forme, c'est un texte italien, ça ne fait pas de doute. Et la traduction le rend bien. Il y a une manière de penser, de dire, d'assembler, d'associer, de présenter qui me rappelle souvent les propres manières de penser et de dire qu'avait mon père. Le traducteur a donc très bien travaillé.
Sciascia a voulu un texte concis à extrême, et cela le fait tomber dans un tel excès de sobriété qu'il semble finalement brutal. On n'est pas dans la concision par le cisèlement d'orfèvre, mais dans la concision par le dépouillement érémitique. C'est un choix. Peut-être dû à l'âge de l'auteur... Quand le diable est vieux, il se fait ermite, dit le proverbe. Pour nous, Français, amoureux d'une langue riche et fluide, c'est trop râpeux. Il manque les épithètes, les figures de style, les comparaisons, les oppositions, les oxymores, etc. Là, vraiment, c'est sec, très sec. Mais l'auteur est sicilien. C'est un terroir particulier.
Contrairement à ce qu'écrit René de Ceccathy, du Monde, en quatrième de couverture, c'est un texte sans poésie et un récit plus ou moins policier mais sans énigme. La société n'est pas mystérieuse ni l'homme énigmatique.
Ce que j'y ai trouvé de plaisant est donc très personnel, très lié à un sentiment de filiation, relève de l'intime et non du littéraire...

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