mercredi 5 novembre 2008

Federico garcia Lorca, Jeu et théorie du Duende




Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du Duende,
Allia, 2008



Comment traduire "le Duende" ? Rien de similaire en français.

Lorca nous dit ce qu'il n'est pas : "Je veux que personne ne confonde le duende avec le démon théologique du doute [...] ni avec le diable catholique"

Lorca nous dit ce qu'il est : "L'esprit de la Terre, ce même duende qui consumait le cœur de Niezsche [...] le duende dont je parle, sombre et frémissant est le descendant du très joyeux démon de Socrate."

On aurait trop vite fait de définir le duende comme l'âme de l'Espagne. Quelque chose de mystique qui ne pourrait être appréhendé que par un espagnol en fusion totale avec sa culture, son pays. Le duende est universel et tous les arts peuvent l'accueillir. Hier chez Socrate, aujourd'hui accessible dans le Flamenco, les complaintes gitanes, le chant et la guitare espagnols, la corrida...
Un démon ? Oui, mais un Ange tout autant. Un état de Grâce.
Cet état où l'artiste communie avec la Muse, où le danseur en transe n'incarne plus que l'essence de la danse. Cet instant où la voix du chanteur cesse d'être interprétation et où le divin s'écoule par sa bouche. Ce moment stupéfiant qui dépasse toute technique et qui transcende toute perfection.

Mais l'Ange, le démon, la Muse sont extérieurs à l'homme qui reçoit d'eux ce qu'il restitue. Le duende, lui, surgit des entrailles de l'homme. Le duende, "il faut le réveiller dans les dernières demeures de son sang".

Où le chercher ? Comment le trouver ? Comment le produire ? Comment le vivre ? Comment porter son art au-delà de la plus pure perfection et permettre son jaillissement ?

Le poète nous répond : " Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, [...] qu'il brise les styles, qu'il s'appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation [...]"

Une amie vivant au Japon me raconta un jour ce spectacle fascinant et inouï d'une très vieille femme presque infirme, presque paralysée, brisée mais qui, sur le tatami, au rythme d'une musique ancestrale, se mettait à danser instantanément avec la fraîcheur, la grâce et l'énergie de la jeunesse. C'est cela, "le pouvoir magique" du duende qui "opère sur le corps de la danseuse comme le vent sur le sable".

Il faut lire ce petit texte de Lorca, comme on lit un poème parce que Lorca est poète. Mais il faut encore le lire avec la patience, le sérieux qu'on accorde à un texte fondateur dont le fruit sera sans fin.