dimanche 25 mai 2008

Le Surréalisme est-il un discours contre la Raison, l'Individu, la Liberté, la Démocratie, la République ?


Je lis à l’instant l’article de Sarastro sur l’élection de Jean Clair à l’Académie Française. Et voilà que je me sens tenu d’y réagir, pour des raisons philosophiques.

Il est louable et courageux d’oser rappeler le titre complet d’une œuvre que l’AFP n’a pas pu…ou jugé bon de citer en intégralité… Ainsi, celui que ça intéresse pourra la trouver.

De l’audace, au sens étymologique du terme, il en faut pour oser proposer une « fiche » de ce livre de Jean Clair qui, bien plus qu’une fiche, s’avère vite être une invitation à une réflexion critique (donc libre, parce que jetant méthodiquement le doute sur…) sur le mythe surréaliste tel qu’il est désormais établi qu’il faut et faudra à jamais le célébrer. Deux principales lignes de force, donc, et deux propositions, deux invitations à réfléchir. Deux plats principaux au menu. Ce sera copieux à souhait pour quelques uns, je l’espère. A priori indigeste pour beaucoup. Inenvisageable pour d’évidentes raisons de diététique intellectuelle pour le plus grand nombre.

Les deux directions indiquées se rejoignent nécessairement. Que le surréalisme soit un mouvement antidémocratique, haineusement antidémocratique, et qu’il s’appuie sur des stratégies extrémistes et haineuses, il suffirait pour s’en convaincre de chercher le nombre d’anathèmes lancés par les surréalistes, de condamnations, de violences et d’incitations à la haine dont ont été victimes ceux qui ne correspondaient pas à leurs purs critères.

Un historien de la littérature devrait un jour établir le dictionnaire des insultes et des insultés, des victimes innocentes, des artistes talentueux étouffés dans l’œuf et privés d’audience, des artistes talentueux qui furent connus mais privés d’actualités ou de postérité par le diktat des surréalistes.

A cette dimension antidémocratique caractéristique, qui sied si bien à toute les formes de dictature, et donc au stalinisme tant aimé d’Aragon, il faut en effet ajouter la défiance affichée, le dégoût profond, le rejet viscéral du rationalisme.

Or la France est rationaliste par essence. Cette conscience claire, qui fut initiée par Descartes et portée à son sommet par l’esprit des Lumières, que la raison et le rationalisme sont les conditions de l’émancipation de l’humanité, fut largement, en effet, attaquée et bafouée par des mouvements tels que le Surréalisme. Suivant la même dynamique, la même « logique » (il faudrait dire « la même illogique ») et sans pousser trop loin l’analyse, on pourrait voir comment, à la même époque, dès la fin des années 1930, l’Ecole de Francfort elle-même, s’écartant définitivement de sa pensée première, finit par établir une relation d’équivalence entre Raison et Oppression. Le totalitarisme est présenté comme le fils logique et biologique, consubstantiel, de la Raison. L’homme étant (ou étant devenu) un animal rationnel, l’apparition régulière de totalitarismes serait immanente au nécessaire développement de l’homme. Voilà ce qu’il fallait penser dès la fin de la seconde guerre mondiale. L’Eglise, bien sûr, pouvait être au comble de la joie. La raison = le camp de concentration, le goulag !

Ce discours-là était, de plus, servi par des gens ou des mouvements qui avaient eu des origines marxistes ! Là, ce n’est pas anodin… Cela offrira le double avantage de se débarrasser de la rationalité d’une part et, d’autre part, de se déculpabiliser, de s’affranchir, de s’exonérer de toute responsabilité face aux exterminations de la dictature stalinienne. C’est ce que ne manqueront pas de faire les Surréalistes, dictateurs condamnant les dictatures.

Les Surréalistes, contempteurs de la morale bourgeoise, comme le rappelle Sarastro, sont aussi les plus virulents dénigreurs de la pensée des Lumières et on retrouve là les thèmes fondateurs du romantisme, et particulièrement du romantisme allemand qu’on retrouvera comme chacun sait dans la pensée de Nietzsche comme dans la Phénoménologie heideggérienne : haine de la raison, de la volonté, de l’individu, de la science, du progrès technique, de la pensée moderne, éloge de la nature, de la force, de l’instinct, du corps, de la pensée antique contre les modernité…ou plus exactement de ce que les romantiques peuvent puiser dans la pensée antique pour étayer, quelque soit leur mauvaise foi, leur propre théorie.

On sait où cela a conduit. Et pourtant, comment cette critique de la raison a-t-elle pu si faussement, si mensongèrement, se constituer et se propager au point qu’il fallait se méfier de la raison même en philosophie, au point que la philosophie soit devenue irrationaliste, heideggérienne, hégélienne.

C’est là un premier postulat qui n’engage que moi, mais quiconque est véritablement rationaliste ne peut aller en philosophie au-delà de Kant, et lire Kant de près c’est se convaincre que la porte est déjà ouverte (par lui sans doute) à ces post-kantiens qui, trahissant la pensée kantienne trahiront aussi l’Aufklärung.

D’où un second postulat qui pose que fausser ainsi délibérément la définition de la nature réelle de la Raison, ce n’est pas seulement relancer le débat des Anciens et des Modernes, mais c’est sauter à pieds joints dans le Romantisme qui fut le véritable opium des peuples, dans le Surréalisme qui fut LSD des masses au service de la destruction de l’esprit critique et méthodique. Ce fut sauter à pieds joints dans la barbarie.

Il faudrait du temps pour définir plus amplement ces deux postulats. Ce n’est pas le lieu du blog, à moins d’une ouverture sur une « discussion » qui demeure le rêve avoué de cette démarche bloggeuse !

Il faudrait clarifier ce que fut la pensée des Lumières, montrer quel va être le sort réservé à la Raison, comment on va progressivement lui « tordre le cou ». Pour cela, il faut poser le Positivisme et l’Historicisme pour en faire une critique radicale et montrer comment, faute de cette critique radicale, on restera prisonnier d’une vision erronée et pervertie de la Raison et que, dans ce cas, la porte restera toujours plus ou moins ouverte aux élucubrations oiseuses des sciences occultes et des sectes spiritualisantes dans les cas les plus bénins et à l’extrême barbarie des totalitarismes dans les moments les plus graves. Notons ici que le parallèle entre l’occultisme, la secte et la dictature n’est pas anodin.

Il faudrait montrer le processus de déconstruction ontologique de la Raison et le développement d’une théorie illusionniste de la Raison par ses détracteurs. C’est à la philosophie de l’histoire qu’il faut s’attacher pour cela, en montrer ses apories et ses antinomies.

Quoi qu’il en soit, tenons pour assuré que le Surréalisme, comme le Romantisme, dans leur critique manipulatoire de la Raison ne peuvent osciller qu’entre anarchisme et totalitarisme, négation de l’individu, négation de la pensée moderne, des Droits de l’Homme et donc, poussant jusqu’au bout notre raisonnement, négation de l’idée même de République.

A l’ouvrage que conseille Sarastro, « Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes » de Jean Clair, j’ajouterais volontiers deux lectures complémentaires, base nécessaire à toute discussion possible : « La philosophie des Lumières » d’Ernst Cassirer et « Misère de l’historicisme » de Karl Popper.

Le « post » est déjà long. Je réserve pour une prochaine fois ce que je pense de façon plus privée, plus affective et moins intellectuelle, des Surréalistes… au sujet de cet odieux pamphlet collectif qui fut l’un de leur premier coup d’éclat en 1924 à l’occasion des obsèques d’Anatole France : « Avez-vous déjà giflé un mort ? »

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