Les malentendus
n’empêche pas de dire blanc et de vivre noir
Benoît Duteurtre, Les malentendus, NRF Gallimard, 1999
Benoît Duteurtre, roman après roman, nouvelle après nouvelle, établit progressivement, par touches successives et douces, à la manière de Impressionnistes, un portrait de la France de la fin du XXème siècle et du début du XXIème. On a déjà quelques belles scènes d’une œuvre qui pourrait s’appeler La Bouffonnerie Humaine.
De nouveau, avec son ironie légère et amusée, il évoque les impostures des bonnes pensées qui ont colonisé le cerveau complaisant de ce petit monde majoritairement écrasant, qui a bonne conscience, parce qu’il pense bien, parce qu’il dit bien ce qu’il pense bien et qui s’endort bien, le soir, sur un oreiller frais gonflé de bonnes pensées toutes faites et prêtes à être assénées au premier « fachô » qu’ils croiseront le lendemain.
Si l’on a compris et aimé l’effort de critique sociale d’Emile Zola, si l’on est attentif à l’entreprise critique et sociologique de Michel Houellebecq, on goûtera les textes de Duteurtre.
Mais ce n’est pas du Houellebecq, loin de là. N’attendons rien de dur, rien de théorisé ni de prophétisé dans Les malentendus. Tout est léger, posé là, comme une farandole de desserts sur un buffet à volonté. Couleurs harmonieuses, odeurs délicates, musique d’ambiance étudiée. Le style est parfait. Je ne vois pas ce qui empêcherait un jour à Benoît Duteurtre de postuler à l’Académie.
Les niais pétris de pensées creuses et de bons sentiments jamais éprouvés sur le fil de la raison ni jamais confrontés à la prosaïque réalité, pourraient avoir envie de bientôt refermer ce roman. Attention, snobs de droite et de gauche, vos vaines et hypocrites postures vous sauteront vite au visage, si vous passez le pont ! Franchir un Rubicon demeure risqué.
La première partie du roman installe ces personnages confits de tics idéologiques et de tocs langagiers. Un jeune gauchiste d’excellente famille, champion du droit des immigrés, une jeune et sexy chef d’entreprise de droite la anti-immigration, des beurs shootés, dealers et racketteurs, des sans papiers, un gay handicapé. Un Paris rive droite, un Paris rive gauche. La misère affective et la misère sociale se retrouvent encore pour fonder la prostitution sur l’air, presque correct, d’un service rémunéré rendu à une nation en décadence.
La seconde partie, déclenchée par le ressort classique des histoires de lit et de cocufiage donne à cette satire un air de boulevard mais sans aucune vulgarité.
On pourrait y voir encore bien des détails sur la dévirilisation du parc national des mâles français, qui, incapables de satisfaire la jeune chef d’entreprise « fachô » mais dynamique finit par entretenir un marocain clandestin et prostitué, débordante de reconnaissance envers celui qui la remet à sa place de femme comblée sous un homme viril. La jeune patronne de droite, anti-arabes devient ainsi la souteneuse d’un marocain sans papier, à qui elle permet de continuer sa double vie sexuelle et sociale et s’encanaille avec des fumeurs de joints.
Le jeune gauchiste bon teint se voit catalogué comme « fachô » par ses petits copains de Sciences-Po pour lesquels il devient la nouvelle cible, corrompue et corruptrice, à abattre.
Mesdames et Messieurs, rien ne va plus, les jeux sont faits, à la table des bienpensants…
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