jeudi 7 août 2008

Honoré de Balzac, Gobseck

Ecrire sur Balzac sans avoir passé dix ans à le lire exclusivement, et dix autres années à consulter les commentateurs, semble dérisoire, présomptueux et vain. Que n’aurait-on pas déjà dit et publié sur lui ? Aussi, me
contenterai-je de donner un éclairage tout personnel et bref de ce court roman qui n’est pas le plus connu de La Comédie humaine.

Deux choses m’ont paru essentielles dans ce texte : le personnage complexe, riche et infiniment attachant de « papa Gobseck » et l’impression de retrouver un condensé d’univers entier en seul et bref roman.

Pour ces deux raisons immédiates, l’une purement affective l’autre purement littéraire, on a l’intuition d’un chef-d’œuvre.

Cher Papa Gobseck :

Gobseck, n’est pas l’Harpagon de Molière. L’avare est sous le joug de l’or qui le domine. On pourrait dire qu’il est dans un rapport d’idolâtrie, de servitude et de passivité face à la richesse. Papa Gobseck, lui, fait circuler l’argent dont il est maître absolu. L’avare possède matériellement l’or dont il jouit du contact. L’essentiel de la fortune de Papa Gobseck est faite de reconnaissances de dettes, de lettres de change, de titres, de papiers. Ses biens, que l’on suppose immenses s’avèrent plus immatériels que matériels. Il y a donc chez lui un aspect, une vision absolument moderne de la finance. C’est le personnage type du spéculateur, du capitaliste financier dirait-on aujourd’hui, mais avant l’heure. C’est l’homme qui entre « comme associé par anticipation dans les entreprises et les spéculations lucratives. »

Papa Gobseck est un usurier. Il a la face jaunâtre et vit chichement. Cliché encore courant en 1830 du juif usurier hollandais, né à Anvers (voir Montesquieu, De l’esprit des Lois, Livre 21, Chapitre 21 qui rappelle comment les juifs ont inventé la lettre de change pour se protéger des persécutions, mais aussi Shakespeare qui, quelque trois cents ans plus tôt, mettait déjà l’usurier juif en scène sous les traits de Shylock dans Le marchand de Venise).

Papa Gobseck réunit déjà la figure traditionnelle de l’usurier juif et celle moderne du spéculateur. En découvrira, en effet, que son personnage n’a rien de stéréotypé et que, loin de nuire avec son argent, il se montre un conseil éclairé, un ami fiable, un cœur généreux.

C’est ce qui le rend attachant et humain, ce fin observateur dont la science des hommes est si grande qu’il peut prédire des années à l’avance, avec l’exactitude de la loi, l’avenir financier des plus fortunés qui finiront par venir lui manger au creux de la main. Ce n’est pas un voyant mais un scientifique. Il ne voit pas l’avenir, il le calcule.

Il pourrait jouir de sa supériorité froidement, hautainement. Au lieu de cela, il va finalement organiser un jardin à la française au cœur d’une jungle impitoyable. Tous les pouvoirs sont entre ses mains : la ruse, la filouterie, la patience, le courage physique, le goût du risque. Il sait écouter et se taire, et quand il parle ses paroles sont toiles d’araignée. Il ment pour piéger les arrogants mais n’est dupe d’aucun mensonge qu’on lui fait, d’aucun piège qu’on pourrait lui tendre. Il aide un ami mais en le libérant a priori de tout sentiment de reconnaissance qui empoisonnerait leur amitié.

Papa Gobseck est un sage, et un homme fragile qui connaît les troubles des hommes, leurs souffrances et leurs joies. Grâce à lui, Derville devient un brillant avoué et se mariera avec Fanny (saine fille que lui aura si bien décrit Papa Gobseck que le jeune homme en tombera aussitôt amoureux.) Il préserve la fortune familiale du feu comte de Restaud, contre la mère et son amant pervers, pour la rendre au jeune héritier. Il rend ainsi possible l’avenir du jeune comte dans la haute société.

A-t-on vu avare restituer une fortune ? Bien plus : il utilise sa fortune pour redresser les torts causés à des innocents et cela (ce qui donne toute la valeur à sa conduite) sur le fond d’une vision extrêmement lucide et jamais mièvre de l’homme.

Par sa richesse et ses quelques limites (connues, contrôlés et dépassées), par son humanité et sa moralité (qui vaut plus qu’une simple probité sociale), par son exigence intérieure, Papa Gobseck est un personnage magnifique qu’on se prend à aimer et qu’on espère aussitôt retrouver dans un nouveau roman.

Un Univers condensé :

Microcosme ramassé sur lui-même, Gobseck donne l’impression, à le lire, d’être l’instant 0 du Big Bang. Là, tout est disponible, réuni, en puissance, en énergie, en matière, en possibilité de liaisons, en thèmes, pour la Création. Le Créateur semble sur le point de livrer cet univers absolument dense à l’expansion. Le rêve de tout astrophysicien, assister au Big Bang, est possible pour l’amoureux de littérature qui peut assister à la naissante d’un nouvel univers.

La moitié d’un thème de Gobseck suffirait à nourrir des romans entiers. Des thèmes, il y en a tant au fil des pages… et en si peu de pages. On y voit une montre suisse qui fait entrer en infiniment peu de place une multitude de rouages aux dents ajustées au micron. On assiste au manège parfait de tous les milieux : du peuple humble à la plus haute aristocratie ; de tous les comportements : de la stricte moralité qui permet l’élévation à la dépravation des mœurs qui conduit à l’effondrement ; de toutes les vertus et de tous les vices : de la naïve pureté de Fanny à l’ignoble et froid cynisme de Maxime de Trailles ou bien de l’amour filial d’un père à la pire perversité d’une mère. Manège parfait et intemporel, donc, qui tourne autour de l’axe immuable de l’argent.

Et j’allais oublier cette peinture du mariage bourgeois, où l’épouse laisse agoniser son mari sans lui porter le moindre secours pour, à l’instant même de la mort, fouiller les tiroirs et renverser les meubles du défunt en quête d’argent !

Finalement, s’il fait penser au roman absolu, peut-être est-ce parce que Gobseck est un récit primitif, fondateur comme l’on dit aujourd’hui. Le travail de l’écrivain, sa maîtrise se sent partout, dans la succession des récits de Derville et de Gobseck, dans le jeu sur la temporalité qui est modifiée par des phases brèves et transitoires de narration externe typiquement romanesques… si bien qu’on imagine déjà en lisant le roman la pièce de théâtre ou le scénario qu’on pourrait en tirer.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je passe le bac de Français et ce que je viens de lire m'a beaucoup interesé, c'est très complet et nous aide à mieux comprend la lecture de Gobseck !

Stanislas HOFFMANN a dit…

Merci beaucoup pour votre commentaire. Je ne suis pas un bon littéraire mais je dois dire que c'est très bien écrit et très accrochant. Je n'ai qu'un seul mot : Bravo !