mercredi 6 août 2008

Benoît Duteurtre, Drôle de temps



Benoît Duteurtre, Drôle de temps
Folio Gallimard, 2001


Sale temps pour l’homme…

Ce recueil de nouvelles, certaines pouvant aisémentt se transformer en roman, fut couronné en 1997 du prix de la Nouvelle de l’Académie Française.

Souvent drôles, ces textes donnent un bel échantillon du talent de Duteurtre : savoir encore faire rire ou sourire en peignant une humanité livrée au ridicule qui la tue peu à peu. On sent chez l’auteur une colère dépassée, un dégoût lassé face à un monde superficiel, vain, nul et laid, voué à la technologie et à la communication.

Usant de la description « chirurgicale », aussi peu effective que possible, il met en relief les travers et les ridicules dans lesquels nous flottons tous plus ou moins comme des bouchons.

On n’est jamais tenté de croire que Benoît Duteurtre dénonce le monde, le stigmatise, le fustige. Sur ce monde, il porte un regard ironique mais doux, un œil lucide mais bienveillant. Lui n’est pas dupe. Les autres sont des esclaves… mais il se souvient que Socrate a bu la ciguë, que Jésus a connu la croix, abandonnés et condamnés par ceux-là même qu’ils venaient libérer.

Jésus et Socrate étaient si malpensants, si radicaux, qu’il fallait les tuer. Duteurtre, lui, est sage et « philosophe » dans le sens commun du terme. Il montre ce qu’il faut pour qu’on comprenne qui il est, mais il reste un observateur amusé et désabusé du monde.

Sévère mais pas cynique, il fait œuvre de révélateur et d’éclairagiste. Il remet en lumière ce qui n’a plus d’éclat et nous comprenons par là que le monde réel a disparu derrière l’illusion d’un monde pré-pensé, pré-fabriqué, pré-digéré, pré-vu.


Des mentions particulières pour quelques nouvelles :

« Dans la sanisette », nouvelle digne de la 4ème dimension, ouverte à toutes les interprétations, l’on finit par se demander : qui est J.C. Decaux ? Dieu ? Un envoyé de Dieu ? Le plus grand tyran de l’histoire de l’humanité ? Et la technologie ?... La plus grande aliénation de masse qu’aura jamais subie l’homme ?

Sur « La plage du havre », on verra les citadins rétablir (sur du sable, ô symbole !) une « urbanité de plage », régénérant ainsi, dans des allées de cabanes estivales, les rites et affrontements tribaux les plus immédiats, les plus ridicules, entre plages de galets hostiles et mer des années 60, alors aussi polluée de boues mortelles que peuvent l’être aujourd’hui les lieux maritimes les plus dangereux du tiers-monde.

Et pourtant, l’auteur le rappelle (p. 74) soulignant ainsi qu’il ne fut pas le seul à voir dans la laideur des occasions de beauté, c’est bien là que « Claude Monnet, dans les bassins du port, peignait son Impression soleil levant », tableau qui m’est si cher…

Lisez le portrait (p. 64-65) de la « jeune chrétienne bourgeoise » d’avant 68, et regardez celle d’aujourd’hui…

Au cœur de la « Zone Nature Protégée », Patrick, l’écolo-bobo-parisien-bienpensant verra ses paradoxes et son vide intellectuel révélés par des gens simples, de gens de la terre pour qui la Nature n’est pas un musée idéal, un écomusée idéologique prétexte à propagande, mais le cadre de leur vie réelle et quotidienne, cadre qu’il faut sans cesse aménager au mieux pour continuer d’y vivre tout simplement.

« Comme au cinéma », oui, comme au cinéma noir et blanc de la 4ème dimension encore, s’achève le recueil. Où l’homme a-t-il donc basculé ? Ses rêves des années 60 sont-ils devenus les pires cauchemars des années 2000 ?

Il y a quelque chose de Marcel Aymé dans la prose de Duteurtre. Ceux qui lisent un peu attentivement et tendent un peu l’oreille y retrouveront de lointaines couleurs et de modernes échos de l’auteur de La belle image et d’Aller-retour qui nous dépeignait déjà l’homme comme « un papillon volant légèrement de travers. »

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