mercredi 18 juin 2008

Jean Mauriac : le Général et le journaliste




Jean Mauriac : le Général et le journaliste
Un trésor…


Sorti début 2008, ce livre est un trésor.
Ceux qui aiment François Mauriac et qui ont cherché à enter un peu dans l’intimité de cet immense écrivain ont, un jour ou l’autre, croisé François Mauriac à Malagar grâce à son fils Jean. Lisez aussi Malagar, aux éditions Sables, livre magnifique, assez difficile à trouver en librairie, mais qu’on peut obtenir facilement auprès de la librairie de Malagar, ancienne demeure de l’écrivain, près de Bordeaux, et vous comprendrez qu’en littérature Jean Mauriac a su se faire un prénom. Ce n’est pas rien, après un tel père.

Jean Mauriac entrera comme journaliste politique à l’AFP dès la Libération en 1944 et sera aussitôt affecté auprès du Général de Gaulle jusqu’en 1969. Il participera à tous les grands voyages, à tous les grands moments de cette France qui se confondit un temps avec son chef, il traversera l’océan avec le Général, lors de sa « traversée du désert » et il « couvrira » aussi les derniers voyages du Général en Irlande et en Espagne.


Le Général et le journaliste montre la loyauté, la tendresse, l’amour, le respect toujours intacts et profonds de l’auteur pour de Gaulle. Ce livre est un peu son « Ode à l’homme qui fut la France ». Avec la rigueur, l’exactitude du correspondant de l’Agence de Presse, je dirais avec l’honnêteté consanguine d’un Mauriac, Jean Mauriac s’applique à témoigner en serrant au plus près la vérité. Il s’attache au vrai. Il parle de ce qu’il connaît véritablement. Ce qu’il connaît véritablement, il l’aime. Ce qu’il aime, il nous le fait aimer.

Aussi, vient vite l’envie de lire L’après de Gaulle, que Jean Mauriac avait publié en 2006. Les deux ouvrages se reprennent, se répondent, se précisent, résonnent et se font écho, soit en tout quelque 800 pages d’un témoignage incontournable. Ce « devoir de témoigner » comme l’écrit Jean-Luc Barré, Jean Mauriac s’en acquitte admirablement. Il y a une manière de créance dans son cœur, quelque chose qui dépasse même l’exceptionnelle chance d’avoir pu ainsi côtoyer un tel homme, un tel destin. De cette dette immatérielle, la morale de l’auteur exigeait qu’il s’en acquittât. La finalité de Jean Mauriac ne semble pas seulement d’apporter sa contribution au mythe gaulliste. Si ç’avait été le cas, il l’aurait fait dès le début des années 70, comme tant de témoins privilégiés.

Au soir de sa vie, Jean Mauriac, dans le Général et le journaliste, peint les traits essentiels de deux personnages qui furent ses idoles, sa religion : François Mauriac et Charles de Gaulle. Chez l’un comme chez l’autre, on retrouve la plénitude d’une vie et d’une pensée accordées.

Il y a beaucoup de courage dans ce que ce fils dit de son père, et jamais de jugement dans le cœur de cet homme qui reste un fils aimant et admiratif. Il y a une forme de reconnaissance de paternité spirituelle assumée envers le Général. De même qu’on marche, on vole, on vogue, on roule aux côtés de De Gaulle s’entretenant avec Jean Mauriac, on se promène sous les arbres de Malagar et on entend le chant des oiseaux au fond du jardin de Vémars avec François Mauriac qui évoque pour le lecteur Francis Jammes ou José Cabanis…

Ces deux grands hommes au courage immense et à l’engagement total quittèrent le monde en 1970, à deux mois de distance. Sans doute, Jean Mauriac est-il doublement orphelin depuis trente-huit ans déjà.

Je me permets de reproduire la lettre que de Gaulle adresse à Jean Mauriac le 6 octobre 1970 après la mort de son père, survenue le 1er septembre (page 281) :


" Mon cher ami,


Votre lettre m’a touché comme m’a ému votre peine. Pour moi, je ne me consolerai pas de la perte de François Mauriac, non seulement à cause de son immense talent, mais aussi en raison de tout ce que je lui dois.

Si je ne vous ai pas appelé à causer pendant le voyage d’Espagne, c’est, vous le savez bien, parce que je veux, vis-à-vis de chacun et de moi-même, être détaché entièrement de l’ « actualité ». Mais je ne le suis pas de l’amitié. Soyez bien certain que la mienne vous est fidèle.


Charles de Gaulle "




Une autre inestimable qualité des témoignages de Jean Mauriac, et qui leur confère encore plus de valeur, est qu’ils se diffusent dans le lecteur et le pénètrent en profondeur. Ses livres sont des portes pour entrer dans l’Histoire de France. Grâce à lui, on peut ressentir l’haleine gaulliste, attraper le fil et avoir l’impression qu’on ne se perdra pas dans le labyrinthe de l’Histoire. C’est aussitôt savoir quoi lire et qui rencontrer : Olivier Guichard, Roger Frey, Gaston de Bonneval, Jacques Foccart, André Malraux, Maurice Couve de Murville, le Général Massu, Pierre Sudreau, Claude Guy bien sûr, et tant d’autres…

Pendant des décennies, tous ces secrets, ces notes confidentielles, ces souvenirs se sont accumulés dans les cahiers d’écoliers sur lesquels Jean Mauriac consignait tout. Loin de toute précipitation, il a laissé le temps passer et agir. De ce passé sédimenté, tous les caractères accessoires ont disparu : l’aveuglement de l’événement en train de se faire, le tumulte du quotidien, les passions exacerbées, les fausses couleurs et les demi-teintes, le fanatisme aveugle des grenouilles du bénitier gaulliste, les jappements hargneux des roquets oubliés. Le temps a fait son œuvre. Demeure l’essentiel. Et chaque page de Jean Mauriac est un pur diamant.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour qui aime Mauriac,votre article nous emmène à Malagar sous d'autres cieux, dans une autre époque... qui fût celle de Mauraic et de De Gaulle.La pudeur est un mot qui n'est plus trés à la mode, et pourtant ces grands hommes dont vous parlez ont fait tant de choses impensables aujourd'hui, dans la plus grande pudeur d'âme. Cette lettre du Général à Jean Mauriac est un exemple de simplicité et de respect. Est ce une époque qui a disparu?

Edouard FELICI a dit…

J'aurais tendance à croire que, même à l'époque de Mauriac et de De Gaulle, tout cela n'était déjà plus qu'un anachronisme... Les choses qu'ils firent, impensables aujourd'hui, étaient alors déjà impensables. Pour de Gaulle, elles étaient même impossibles : il ne fallait pas seulement déplacer une montagne, il s'agissait de soulever l'Atlas, de le prendre sur son dos, et de le porter, seul, et encore, et toujours...