dimanche 7 septembre 2008

François Taillandier, Les parents lâcheurs



François Taillandier, Les parents lâcheurs

Editions du Rocher, 2001


"Nous avons laissé tomber nos enfants. Par inconscience, par lâcheté, par soumission, par égoïsme. Nous les surmédiatisons dès le premier âge, nous les bourrons de céréales et de fluor, nous les saturons de loisirs, nous leur offrons des baskets Nike, des consoles Sega, des connexions Internet et des téléphones portables ; nous les amenons chez l'orthophoniste à la première faute d'écriture, chez le psychothérapeute à la première crise de jalousie devant le petit frère ; nous assiégeons l'école, persuadés qu'elle ne fait jamais assez, ni assez bien. Et cependant je dis : nous les avons laissés tomber."


Le début de l’essai de François Taillandier donne le ton d’une analyse lucide et sans complaisance sur le rôle et la responsabilité des parents (que nous sommes tous… et l’auteur lui-même ne se met surtout pas hors de cause) dans le déclin de la civilisation pour ne pas dire dans son « dévissage ».


On pourrait croire encore à un écrit grognon et stérile, pleurant pour la énième fois le démembrement de la famille et l’atomisation des relations humaines, dénonçant l’abdication des parents et de l’Ecole, fustigeant le recul de la culture et la perte des repères, blâmant la confrontation de l’enfance à une sexualité sans retenue et falsifiée.


C’est tout cela à la fois et bien plus encore. Si l’auteur pousse un cri de colère, c’est autant un père qui s’inquiète qu’un intellectuel qui se révolte. Son approche n’est ni nostalgique ni culpabilisante.


Le « Rhinocéros », le « Mégamixeur », a étendu sa dictature mercantile et uniformisante sur toute la civilisation occidentale. Et ce père intelligent s’alarme : quel sort, quel avenir réserve-t-on à nos enfants ? Nos enfants que nous abandonnons en aveugles conciliants, en lâches parfaits, conscients des drames qui se joueront mais trop veules pour réagir et lutter.


Car l’originalité de ce texte réside en cela que, sans culpabiliser, montrant de quelle façon la dictature se sera calmement installée, établissant clairement la quasi impossibilité de résister pour les parents devant la pression sociale (marchande) normative, l’auteur met les parents face à leurs responsabilités : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !


Déculturation, jeux et univers virtuels, pornographie, tout contribue à enfermer nos enfants –donc notre civilisation à venir– dans un camp de concentration à domicile, une assignation à résider, à penser (ou plutôt à réagir), à consommer l’éphémère dans l’immédiateté et la vulgarité. Tout aura été fait de sorte que nous, les parents, nous nous laissions déposséder de nos enfants et du poids de l’éducation. Incapables de poser notre autorité parentale, le « Rhinocéros » se sera chargé de dresser nos enfants mais pour son profit direct et donc avec infiniment moins de bienveillance.


Tout aura été fait de sorte que nous, les parents, nous abandonnions nos enfants aux dogmes que nos chers « aïeux », les soixanthuitards ont édifié : plus d’interdit, plus de limite, plus de barrière, du sexe, de la jouissance. Le principe de plaisir et lui seul. Donc le culte absolu voué à l’égotisme sacré. Le culte absolu de l’immédiateté, du présent, de l’instant, si possible entre drogue et sexe.


Le pire des crimes contre la civilisation aura été commis par cette « génération 68 » : des siècles d’héritages jusqu’alors patiemment transmis et enrichis de générations en générations n’ont subitement plus trouvé preneurs. Une offre infinie mais plus de demande.

Or, cette génération 68 qui tient aujourd’hui le haut du pavé, qui tient les rênes des gouvernements, des entreprises, des administrations ne les tient que parce qu’elle reçut, elle, une excellente éducation, une éducation pré-soixanthuitarde fondée sur la culture, le savoir, la pensée libre et critique.

Et le crime fondamental de la génération 68 réside en ceci qu’elle priva délibérément et consciemment les générations suivantes de ce qui l’avait elle-même nourrie : le génie de la culture latine, l’amour et la connaissance d’une civilisation vieille de plus de 2000 ans.


J’espère qu’un jour la jeunesse, l’enfance d’aujourd’hui regardera la génération de ses parents (et parfois déjà grands parents) comme ils sont : de fieffés salopards qui auront bradé leur descendance aux marchands de tapis.


Oui, désormais, il n’est plus aussi évident que cela de définir le statut de parent. Géniteur, on sait encore. Parent… Et nous sommes tous concernés, sans exception. Tous nous regrettons que nos enfants ne lisent ni ne connaissent plus rien. Mais à quel enfant n’offre-t-on pas sa console, son ordinateur, ses écrans, ses mangas ? Tout est à l’avenant, et nous le savons.


Nous aurons été lâches, lâcheurs, si peu fiables. Nous nous sommes laissés aller à la facilité qu’on nous « offrait ». Mais tout a un prix…

Nous aurons été lâches, nous ne pourrons pas être hypocrites. Si un jour nos enfants nous demandent des comptes, nous ne pourrons pas dire : nous ne savions pas. Car nous savions. Nous savons.

Cette phrase de François Taillandier résume à elle seule cette pleine conscience de notre responsabilité à la fois individuelle et collective (p. 33) : « Nous ne sommes pas emportés par le fleuve : nous sommes l’eau. »

Nous avons lâché. Lâché prise. Abandonné nos enfants à un avenir qui vaut moins que notre propre passé.

La seule chose qui nous reste à faire, c’est de reprendre les rênes. Reprendre pied, reprendre la main, réaffirmer la prise sur les événements. Mais, pour reprendre le contrôle, il faut s’arracher au cyclone, ce qui veut dire accepter de se voir, de penser, de revenir sur nos pas et de redécouvrir les anciens sentiers abandonnés. Ce qui veut dire commencer à porter sur notre histoire récente et nos dérapages un regard d’une lucidité et d’une sévérité extrêmes.

1 commentaire:

Mascaró a dit…

Les avons-nous réellement laissé tomber ?
Je lis ces extraits et j'ai du mal à me reconnaître dans ce portrait de "parent lâcheur". Pourtant, mon fils a bien une console de jeux, des DVD, une connexion internet, et même son propre blog.

Premier point : reçoit-il un legs culturel moindre que ce que j'ai reçu? Je n'en ai pas l'impression. En tant que père, il me semble que je consacre autant de temps que ce que mon propre père m'a accordé à lui transmettre ou plutôt distiller en lui "l’amour et la connaissance" de notre culture. Du côté de l'école, ce que je perçois ressemble beaucoup à ce que j'ai connu comme élève, mais peut-être mon fils est-il privilégié sur ce point, c'est un autre débat.

Deuxième point: doit-on voir dans cette profusion de média "un camp de concentration à domicile, une assignation à résider, à penser (ou plutôt à réagir), à consommer l’éphémère dans l’immédiateté et la vulgarité." Ne peut-on y voir une formidable opportunité de connaissance, de création, de dialogue, de découverte? Ne sommes nous pas vous et moi ici-même en train d'en profiter à travers un blog et des commentaires ?
Concernant les jeux et univers virtuels, ils me semblent plus dignes d'intérêt que le Morpion ou à la Bataille Navale.

Troisième point : quelle place pour l'initiative personnelle ? Mon père n'a découvert Pirandello ou Sciascia ni par l'intermédiaire de ses parents, ni par celui de l'école.
De mon côté, Fernando Pessoa m'est tombé dessus à l'improviste, et Julio Cortàzar quand il le fallait. Tôt ou tard, mon fils se lassera du superficiel et trouvera les œuvres qui le construiront. Et sinon, il sera décorateur d'intérieur...

Quatrième point : il n'y a jamais eu tant de bibliothèques, tant de librairies, tant de théâtres et tant de musées. Tout est là, à disposition de tous, et certainement plus accessible que jamais.

Non, franchement, je ne me sens devoir rendre des comptes ni à mon fils, ni à sa génération.

Dans le genre "dévissage" de notre civilisation, et dégâts de la génération 68, je suis beaucoup plus sensible à la description acide et hilarante qu'en fait Philippe Muray.
L'avez-vous lu ?