dimanche 28 septembre 2008

Benoît Duteurtre, Le voyage en France


Solange et Monet, le Havre et les paquebots transatlantiques,
Le jardin à Sainte Adresse...


Classiques destins croisés, féconde confrontation d’un français blasé rêvant d’Amérique et d’un jeune américain idéalisant une France qui n’existe que dans ses fantasmes anachroniques, voilà ce qu’aurait pu se contenter d’être Le voyage en France. C’eut été déjà supérieur à quantité de romans que nous ménagent les rentrées littéraires année après année.

Ici, c’est bien mieux encore. C’est le roman véritable d’un bel écrivain qui, souhaitons-le, nous permettra d’étoffer nos bibliothèques de quelques textes précieux au fil des ans.


Le style, éminemment littéraire et léger, sert un humour mordant mais jamais grinçant. Evénements en cascades, péripéties, malentendus, troubles quiproquos, désirs et petites lâchetés font que rien ne se passe tout à fait comme prévu. La trame événementielle est donc passionnante à suivre, et l’ennui ne pointe jamais le bout de son nez. A aucun endroit vous n’aurez envie de finir la page en la balayant rapidement du regard pour retrouver le fil d’une histoire maladroitement interrompue. Duteurtre dose habilement la narration et le dialogue, tout en conservant une place de choix à la description, fait rare aujourd’hui où la plupart des romans ne sont que débordements poussifs et insipides d’états d’âme intérieurs. Oui, la description mérite encore sa place dans le roman. L’auteur le fait, et parfaitement.


Claude Monet a infusé en Benoît Duteurtre. La plume du second semble avoir trempé dans les couleurs du premier, et c’est une expérience plaisante de lire un texte qui semble écrit d'un pinceau impressionniste. Aussi, faut-il observer son texte avec le même recul qu’il met à l’écrire. Une touche ici, une ombre là. Un caresse légère lève le voile pudiquement posé sur un travers ridicule mais le repose aussitôt. Comme le Petit Poucet sème des cailloux derrière lui, les personnages du roman déposent des indices subtils qui conduisent en pointillés le lecteur d’un bout à l’autre de l’œuvre.


Car voilà l’autre force du roman : ses personnages secondaires. Autour des deux axes principaux que sont David l’américain décalé et le journaliste français coincé dans une vie qu’il aurait voulue plus brillante, quelques belles roues aux délicats rouages se mettent en mouvement dans un ordre parfois peu mécanique. Chacune de ces petites dents cherche sa place exacte mais n’y parvient pas vraiment, pas toujours, ou ne s’en satisfait pas. Et voilà le cours des vies orientées puis désorientées.

Comme chez tous les grands écrivains, le Bien n’est pas que du côté du Bien, ni le Mal du seul côté du Mal. C’était un grand souci d’Anatole France de montrer que « nous avons sur Terre le pire de l’Enfer et le meilleur du Paradis ». Repensons à Balzac et à l’humaine complexité de Gobseck qui le rend si attachant. Duteurtre mérite en cela aussi le nom d’écrivain.


Les personnages secondaires sont attachants parce qu’ils sont vrais, authentiquement humains, imprécis et multiples, aimantés au Nord mais tiraillés par l’envie d’aller vers le Sud. Pensons par exemple au personnage d’Arnaud, séminariste homosexualisant déchiré entre son désir profond et sa culpabilité permanente, et qui n’est pas sans rappeler certains personnages qu’on croise dans les Chroniques de San Francisco d’Armstead Maupin.


Et puis, Solange. Portrait bref et saisissant de Solange. Fulgurance de la vie et de la mort. Solange a hérité de la propriété dans laquelle Monet peignit Le jardin à Sainte-Adresse en 1867. Choc pour l’américain qui découvre le site archéologique de ses rêveries, banalité pour le français qui vient dans cette propriété depuis l’enfance. Tous deux, finalement, se retrouveront à New York, au Metropolitan Museum of Art de Central Park, pour admirer Le jardin à Sainte-Adresse qui les relie à jamais l’un à l’autre, par ces chaînes invisibles que seront à jamais la peinture de Monet et le souvenir de Solange.




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