jeudi 12 juin 2008

Luigi Pirandello : Première nuit

Luigi Pirandello : Première nuit
Nouvelle, Folio


Pour qui veut voir renaître en son imaginaire un tableau de la Sicile d'avant la seconde guerre mondiale mais aussi retrouver quelques données sociologiques d'un monde qui a aussi existé chez nous, là où nous vivons, dans nos campagnes les plus pauvres, dans l'Auvergne d'Antoine Sylvère par exemple, ou dans les "souillardes" de nos fermes il n'y a pas encore si longtemps.

Puissante évocation. Un minimum d'artifice pour un maximum de rendu. Des couleurs pures, crues, posées. Un tableau des heures rudes de la vie telle qu'elle est, digne des Fauves, aux antipodes des Naturalistes. Pas de mélange des tons. Pas de critique sociale, pas d'idéologie. La vie brute. La vie inévitable. Cette vie-là ou rien.

La langue de Pirandello rend à merveille la simplicité dépouillée de ce quotidien taillé à même le roc. Elle restitue le bonheur de ces expressions populaires qu'on ne trouve plus beaucoup dans les textes d'aujourd'hui. Il y avait encore quelques restes d'Epictète chez ces gens-là.

Les hommes sont maigres, émaciés, taciturnes, moroses. Les femmes silencieuses, malheureuses, vaincues et soumises à un destin impitoyable sous leurs châles noirs. La mer a fait, une fois de plus, la veuve et l'orpheline en retenant la vie du mari de la vieille Mamm'Anto, père de la jeune et belle Marastella. Mais elle a aussi pris, le même jour, Tino Sparti, l'amour secret de Marastella...

Vielle et pauvre, quand Mamm'Anto ne sera plus, qui s'occupera de Marasté ? Il n'y a guère que Don Lisi, veuf lui aussi, la quarantaine, laid, gardien du cimetière. Alors, le mariage se fait. Il n'y a pas d'autre calcul que la nécessité de vivre, de chercher à organiser un peu un avenir qui ne va guère plus loin que le repas du lendemain qu'il faut assurer.

Mariage misérable et lugubre, sans guitare ni mandoline, qui fait inévitablement penser à un enterrement et qui conduit Marasté à "la grille du petit cimetière blanc"... Grille, barrière ouverte sur le monde de l'immobile, frontière des vivants et des mort, fin des possibles.

Don Lisi n'est pas plus responsable de ce mariage que Marasté et pas davantage heureux non plus. Alors, au seuil terrible de la nuit de noces, Don Lisi se penche sur la tome de son épouse disparue, Marasté s'effondre sur celle de son père et de Tino, et les vivants demandent aux morts la force de vivre parmi les vivants. Etrange mariage à quatre où deux ces êtres enfermés dans leur solitude, isolés de l'autre, sans porte ni fenêtre, vivront parmi les tombes en continuant d'aimer les ombres de leur passé.


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