jeudi 17 juillet 2008

Le sourire étrusque : l'amour, une dernière fois, et mourir...


LE SOURIRE ÉTRUSQUE de José Luis Sampedro
Editions Métailié, 1997



Cette fois-ci, c'est un grand auteur espagnol qui dépeint un vieil italien calabrais, un homme du sud, un paysan qui doit "monter" dans le nord, à Milan, chez son fils Renato et sa belle-fille Andrea, pour soigner le cancer qui lui ronge les entrailles.


Le roman s'ouvre à Rome, frontière du Nord et du Sud, sorte de check-point neutre, d'ultime limite avant de passer à l'ennemi, avant de connaître Milan, la ville terne et grise, sans vie ni âme, sans couleurs ni odeurs. Un paysan vrai, authentique, bourru, dont l'histoire prend source au plus profond de la terre calabraise, de la résistance pendant la guerre, du savoir séculaire, des rites d'un monde révolu, est plongé là, au cœur d'un musée romain, dans une méditation admirative et curieuse devant l'étrange sourire d'un sarcophage étrusque qui accueillit bien avant l'apogée romaine deux êtres qui s'aimaient. Ces deux Etrusques allaient à la mort, à l'immortalité pense le vieux paysan, le sourire aux lèvres ! Il y a en eux une forme de volupté confiante face à la mort.


Comme de ces vieux sages qui ne tiennent plus tant que cela à la vie, qui semblent avoir déjà accepté leur sort, qui fument et qui boivent du café ou mangent en cachette malgré les strictes consignes des médecins, on pourrait espérer un ultime discours sur la vie, saupoudré de quelques vérités simples mais éternelles, de celles qu'on ne découvrirait qu'au seuil de la mort. On s'attendrait à un classique dialogue entre un père mourant et son fils. Une manière d'héritage fondamental, immatériel, qui ne dépend ni de la richesse ni du notaire, cette transmission d'une partie d'un être qui passe dans l'autre après sa mort.

Eh bien non. Ou plutôt, cela va "sauter" une génération. C'est la rencontre avec Bruno, le petit-fils inconnu, qui déclenchera tout. Le grand-père, on peut le dire, va tomber amoureux de Bruno et, à cet enfant qui lui offre un dernier bonheur sur Terre, à ce petit citadin déraciné, à cet enfant des villes modernes, il va livrer son histoire, ses racines, un discours vrai sur l'Etre. A cet enfant, il va offrir le sol solide et les fondations inattaquables de l'origine.

Le veil homme rencontre aussi une dernière fois le charme, l'amour, la tendresse, la sensation d'être vivant auprès d'Hortensia, une veuve qui le touche, comme personne semble ne l'avoir touché.

A ce moment de sa vie, sur le chemin de la mort, on s'attendrait donc, logiquement, à un roman initiatique : celui qui sait et qui a vécu livre son trésor et disparait. Là où l'auteur joue bien, c'est qu'il inverse tout : le sourire étrusque ouvre une faille dans le blindage hors norme du paysan calabrais, puis la rencontre avec Bruno et Hortensia vont faire voler en éclat cette carapace.

Comme l'écrit Anatole France dans Le Crime de Sylvestre Bonnard :
"Quel casque épais et quelle lourde cuirasse, seigneur ! Vêtement de géant ? Non ; carapace d’insecte. Les hommes d’alors étaient cuirassés comme des hannetons ; leur faiblesse était en dedans."


Finalement, au bord de la mort, c'est "le vieux" qui reçoit ce qu'il n'avait jamais soupçonné que la vie pût offrir à un homme : la tendresse, l'amour, la complicité. On apprend jusqu'au dernier jour, et cette dernière leçon de la vie conduit le vieux à cette plénitude que lui envoyait le sourire étrusque du sarcophage, comme un message, comme une promesse.


Le roman s'achève ainsi :
"Sur l'argile charnelle du vieux visage a fleuri un un sourire qui se pétrifie peu à peu, dans un tréfonds sanguin de terre cuite ancienne. Renato, attiré par le chant guerrier et les cris de l'enfant reconnaît aussitôt : Le sourire étrusque."

Sans nul doute, José Luis Sampedro est un grand auteur et, aimerais-je dire, un auteur "classique", en ce sens qu'il construit une trame narrative parfaitement, où les transitions sont si douces que l'implicite suffit. La précision, le contrôle de ses personnages dont les portraits se déroulent lentement, la retenue, la pudeur des relations, l'humour omniprésent, la juste mesure de sentiments "possibles" font de Sampedro un auteur littéraire de premier plan.

Pour quelques éléments de biographie appliquée à l'œuvre, on peut lire utilement l'article de Marie-Claude Dana, publié dans Le Monde Diplomatique, en décembre 1994 : La saveur des terroirs.


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